jeudi 21 mai 2009

Gestes sur la grève (1)


(Les rencontres hasardeuses)

Ils sont côte à côte.

Il joue dans le sable, fait des formes sur lesquelles il glisse les paumes de ses mains et ne cesse de perdre ses yeux dans ces glissements et écoulements de sable. Elle est face à l’horizon.

 

Tu vois: je ne sais pas pourquoi: nous sommes ici: le sable est au fond le même partout.

Mais enfin: tu ne te rends pas compte: de notre bonheur : regarde cet horizon si loin.

Oui, il est ici comme ailleurs: singulier: incomparable: si tu préfères: mais pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre ?

Écoute: tu raisonnes: au lieu de profiter de l’air: de ce moment: des beautés: d'ici.

Seulement: tu sais bien: il nous faut venir ici: et ailleurs: ça serait pareil.

Je ne te comprends franchement pas: tout t’est égal : ici ou ailleurs: et pourquoi sommes-nous ensemble ici ?: le veux-tu vraiment ?

C’est toi qui ne me comprends pas: pour accepter la beauté d’ici: tu dois comprendre la beauté d’ailleurs: de là-bas: de où l’on vit tous les jours:  de où l'on ne prend jamais le temps de s’arrêter:  de voir le soleil se coucher: de voir les nuages avancer: de voir les couleurs changer: dans l’air: dans le vent: tiens: même dans la pluie: rien n’est plus beau: si on y fait attention: les ciels de là-bas: certains peintres ne s’y sont pas trompés: chez eux pas de représentation de ces ciels-là: ils ont mieux vu les ciels là-bas: pour peindre leur lumière.

Je te comprends: tu le sais bien: seulement: comprends aussi que c’est ici: que nous nous retrouvons: que c’est ici: que nous avons ce temps: même si la carte postale peut un moment occuper notre regard: c’est quand même les mêmes nuages: c'est quand même les mêmes vents: c'est peut-être même le même air: que là-bas.

C’est vrai: je t’aime: vois le ciel de là-bas: vois le ciel de là-bas ici: parce que je t’aime là-bas: parce que je t'aima là-bas sans pouvoir te le dire: là-bas comme ici: et ici ces moments de contemplation: et ici ces pertes de temps: et ici tout ce qui mange le temps de l’amour.

Viens et vois: tes yeux: dans ce que je vois: et mes yeux dans ce que tu vois : c’est pas mieux: c'est pas mieux les yeux dans les yeux: comme on dit: comme on dit dans les scènes de première rencontre.

Seulement: ce sable qui coule: ce sable me fait aussi voir: voir que le temps change l’espace : que ton corps emporte avec lui: emporte tous les airs qu’il a respiré: et que je ne peux me contenter d’un ici : tu es pleine d’ailleurs: c’est avec toi que je voyage: c'est pas avec les paysages: c'est pas avec les espaces: c'est pas avec les horizons: ils peuvent changer: les paysages, les espaces, les horizons: et ils peuvent être les mêmes au fond: ils peuvent ne pas me changer: les paysages et tout le reste:  tu comprends.

Ne pense plus: viens dans mes creux: comme: dans ton château de sable. 

1 commentaire:

Gilles Monplaisir a dit…

"Raisonner au lieu de profiter de l'air". Le poème oscille entre ces deux axes : profiter sans raisonner, c'est risquer de ne pas se "rendre compte de son bonheur" ; raisonner sans profiter, c'est risquer de s'assécher.

Transposé dans le texte, nous obtenons cette oscillation entre le discours (intelligible mais qui risque de devenir sec) et la poésie (plus immédiate, mais qui court le risque de devenir incompréhensible).