dans les boules d’ambre
jaune qui entourent ton cou
il y a le point rouge
au cœur du sombre
mais c’est la foudre
ou alors l’aplat
comme si vivre regardait
le jour se coucher
entre deux voies
dans ta maison
jusqu’au ciel mon pays
et l’immense ici sous la lune rouge
non plus claire pour voir encore
un arbre et deux buissons devant toi
alors tu tiens tête pour se voir sous
les yeux en contre-jour puis tu les
élargis immenses comme des fruits
tout s’éclaire
dans ton mouvement
pincée et la robe bleue
le ciel plein de vent
comme si des fleurs
poussaient jusqu’aux nuages roses
au fond de ton grave regard
il faudrait se tenir les mains
comme pour se protéger ou c’est
pour mesurer la faiblesse et si le regard
apeuré
demandait sans savoir tellement vivre
fait énigme quand l’enfance la tienne
est maintenant
sauf à tenir un chat sa chaleur fait
sourire toutes les bêtes qui m’agitent
et tu t’abandonnes
hagard même si elle tient la main
au petit qui la tête cette femme
tu te souviens serre le poing
contre quel ciel écrasant même
le tableau de son portrait regarde
juste regarder un peu de côté
ou ce sont tes grands yeux
sous un chapeau noir et tout
garder sous les lèvres et si
le voile noir montre comme
un masque tes grands yeux
encore comme un reproche
se tenir pour voir
les deux mains
les deux bouches
les deux yeux
les deux nœuds
en blanc et bleu
serrés les deux
elle offre la branche de camélia comme
si derrière toute la lumière poussait son
sourire
et je déplie les contours de ton corps
dans des nudités roses ou terreuses
tu laisses quelques oranges ou citrons
pour que le regard tienne en rondeurs
ce qui n’est pas touché je reste silencieux
tu aimerais ce collier d’ambre
il résonne dans l’effroi jusqu’à
sa barbe ou peut-être les fronts
qui correspondent je pense d’eux
à nous
quand le regard sourit doucement
la main remonte tient-elle encore
ce qui tombe du ventre mais l’autre
main retient même les boules infimes
du collier et les deux aréoles des seins
si c’était toi je m’y laisserais couler
tenir tête avec la lumière
pour que tu allonges le cou
et tes joues roses resserrent
tes lèvres puis les narines
pour tenir les yeux grands ouverts
tu vois que je perds la tête
quand tu tiens la rose
et que je demande quoi
qui crie un secret tenu
presque des deux mains
ou c’est tout ton corps
jusqu’au port de tête
avec tes yeux grands
et la ligne vermillon pour voir
la douceur du buste sombre
quand les trois poissons
sages voient la fleur
la cruche pousse les oranges
et le rectangle s’arrondit
durs les potirons éclatent
et la table basse penche
comme le bleu de Delft
reflète toute la Chine
ici à peine dépliée
la nappe fait se lever
la nacre du collier
qui ne tombera pas
tu aimes repasser le linge
et j’aime mettre la table
tout est en rapports
c’est Clara ou le miroir
rien n’échappe à la vie
qu’on ne sait pas retenir
dans le blanc si proche
pendant que s’éloignent
les rouges de tous nos fruits
Paula Modersohn-Becker, 1876-1907 Mädchenbildnis Portrait of a Girl 1901 Städelsches Kunstinstitut Frankfurt |
Le titre est emprunté à « Pour une amie » écrit à
la Toussaint 1908 par Rainer Maria Rilke après la mort de Paula
Modersohn-Becker (1876-1907), l’amie peintre de Clara Rilke-Westhoff ; les
textes ont été écrits le 19 mai 2016, en parcourant l’exposition du Musée d’art
moderne de la ville de Paris consacrée à cette grande artiste.