samedi 31 janvier 2009

Au pays de l'oubli (chapitre 2)


Son visage d’enfant donna une grande joie. À son auditeur. Mais vint le soir. Quand la lumière tombe. Une peur étrange le saisit. Il lui vint une peur comme aux enfants. Qui dorment dans le noir. Un aveuglement. Subitement il était aveugle. Le peu de réalité encore visible. Disparaissait. Se révélait insensée. Rien ne servait de s’accrocher. À quelque objet. Une ronde l’isolait de tout. Cette ronde d’ombres ne cessait. Le paralysait. Du fond de lui. Venaient des paroles. Des chansons. Des récitations. Mais tout ce sang qu’il s’évertuait à faire couler. Plus vite ne servait de rien. Les ombres de la ronde en étaient multipliées. La ronde en était redoublée. Et lui au centre. Comme sous le poids d’une toupie qui le forait. Et lui au centre s’emplissait de froid. Un froid l’emplissait. Il courut à l’air libre. Un peu de lumière. L’eau de la fontaine. L’espoir de l’aube. La ronde était restée dans la chambre. Dans la nuit. Elle avait cependant gravé son sillon dans son corps. Dans son esprit. Dans ses rêves. Un rien d’obscurité. L’emportait sur la lumière. Et la chanson de la ronde. Recommençait. Le sillon s’approfondissait. Les ombres se multipliaient. Le froid revenait. Augmentait. 

mercredi 28 janvier 2009

Au pays de l'oubli (chapitre 1)


Il se mit à raconter. Avec ses mains. Des costumes costumaient ses voix. Toutes sortes. Les auditrices se serraient. Leurs mains se crispaient. Voulaient toucher les costumes. Presque toucher les corps que sa voix portait. Il racontait heureux de cette confiance. Chez lui. Presque chez lui. Il se sentait heureux. Comme un enfant qui connaît son monde. Il souriait et même s’empourprait. Tellement confiant. Tellement heureux d’être comme chez lui. Le conte se racontait. Il se calma. Plus lentement le conte se racontait. Plus sereinement. Alors il vit apparaître d’anciennes figures. Tous ceux qu’il avait oubliés. Tous ceux qu’il avait laissés là-bas. Comme si au milieu du conte qui se racontait. Apparaissaient lentement tous ceux. Qui étaient pétris en lui. Il suait mais calmement. Il transpirait mais calmement. Puis le conte réveillait. D’anciennes chansons. Tous étaient loin. Loin. Avec lui. Très loin. Chez lui mais très loin. Et finalement il fut temps. De partir. Chacun rentra. Qui de ce côté. Qui de l’autre côté de la route. Lui. Juste de l’autre côté.

mercredi 21 janvier 2009

"L'Apprenti" de Samuel Collardey: un cinéma-relation


Filmer la relation c'est penser la relation et donc se situer, devenir avec ce qui vient dans et par la relation mais cela demande de changer les habitudes, de laisser l'intempestivité de la relation inventer ses formes de vie et de langage, son cinéma. C'est ce que fait Samuel Collardey avec ce film. Rien à voir avec Cantet et Bégaudeau (voir http://martinritman.blogspot.com/2008/09/une-soire-entre-les-murs.html).
Un seul exemple pour montrer l'enjeu : la "leçon" d'anglais à deux où le comique ne passe jamais par la moquerie ou la condescendance avec ceux qui ne "savent" pas l'anglais... C'est tout au contraire une leçon de langage avec le rire de la relation dans les mots qu'on se fait ensemble. Il faudrait mentionner l'écoute au plus juste que fait un tel cinéma : ni documentaire ethnologique comme on en connaît trop qui font de "l'autre" (avec beaucoup de majuscules pour ajouter à l'autruisme) en veux-tu en voilà, ni fiction au plus près du "Réel" comme on en voit qui s'y croient avec une vérité du monde au bout de leur caméra soumise aux philosophes ou aux idées qu'ils ont avant de voir ! Non ! Collardey  cherche une temporalité, une gestualité de l'attention dans sa prise de vue, dans son montage, dans tous ses moyens cinématographiques, au plus près des histoires d'écoute : celles que l'apprentissage oblige à construire, celles que l'adolescence défriche dans la douleur et l'allégresse, celles que les malheurs de la vie obligent à construire sous peine de perdre la vie, celles que la condition de ceux qui "cultivent" et non "exploitent" leur pays fait aux hommes qui peinent, à ceux qu'un ethnologue appelait "les gens de peu" et que le cinéma met vite dans le "popu" ou dans le "sauvage primitif" quand ici on touche au trésor de l'humanité vive dans son infinie pluralité et l'universalité d'une "condition humaine". Bref, celles que le cinéma sait inventer quand il oublie son savoir bien faire, ses intentions et ses maîtrises. Collardey a fait, avec L'apprenti, un poème de Matthieu Bulle et de Paul Barbier, les deux acteurs non-professionnels qui font le couple apprenti-maître de stage, avec leurs proches - je pense d'abord à la mère de Mathieu, leurs pays(ages) et leurs conditions, leurs histoires. Un poème parce qu'il nous change la relation chaque jour, chaque regard, chaque parole :
- cet accent du Jura c'est d'abord la volubilité d'être, la jouissance partagée d'un plaisir de vivre langage et non la note régionaliste d'un qui passe et n'y remettra plus les pieds: sortant de ce film, nous écoutons chacun chacune mon ton accent...
- cette voix de Mathieu qui ne se fixe pas puisqu'elle mue et surtout qu'elle est une aventure de chaque instant. 
Et je n'oublie pas que ce film est un film à voir pour changer la didactique avec la poétique puisque nous sommes tous des "apprentis" de la vie...

"toutes les vies des autres / ouvrent leurs yeux ferment leurs yeux / en moi"

Vient de paraître chez Arfuyen ce nouveau livre de poèmes de Henri Meschonnic.
On va le lire vite et le relire lentement. Merci à Henri pour ce bonheur de continuer avec lui "les paroles de la vie".
Collection Cahiers d'Arfuyen n°178, 108 pages, ISBN 978-2-845-90129-2 
12euros
Cliquer sur la couverture pour aller sur le site de l'éditeur.

mardi 20 janvier 2009

1982-2008: enfin en poche!


Henri Meschonnic, Critique du rythme. Anthropologie historique du langage

Lagrasse, Verdier, coll. "Verdier Poche", 2009, 736 p.

ISBN : 978-2-86432-565-9  Prix : 18,50 €

Présentation de l'éditeur - et écrite par l'auteur, faut-il le préciser (SM) :

Le rythme est l'utopie du sens. C'est à partir de l'absence du rythme dans le sens et du sens dans le rythme, dans notre culture du langage, que ce livre essaie de fonder une théorie nouvelle du rythme.
L'enjeu dépasse de beaucoup l'histoire et la théorie des pratiques littéraires, où la poésie reste le lieu le plus vulnérable et le plus révélateur de ce qu'une société fait de l'individu. Dans la mesure où cet enjeu engage tout le langage, il engage tout le sujet, tous les sujets, et c'est pourquoi, à travers les problèmes traversés, comme celui du rapport entre le langage et la musique, celui de la voix et de la diction ou de la typographie, à travers les stratégies analysées, de la métrique à la psychanalyse, de la linguistique à la philosophie, jusque dans ses aspects techniques, la théorie du rythme est, au sens le plus large, politique.
C'est un parcours critique des sciences humaines. Traversant leurs lacunes, ce livre esquisse une nouvelle manière de travailler leurs rapports. Dans un aller retour constant entre l'analyse des textes et la recherche des concepts, il confronte principalement les domaines français, anglais, allemand, russe, espagnol, hébreu, arabe.
Il s'adresse à tous ceux qui s'intéressent au langage.Car il déborde l'érudition pour montrer l'aventure.

(Il faudra bien évidemment revenir sur cette publication d'importance: voir d'ores et déjà la partie trop rapidement consacrée à la notion de rythme dans l'article consacrée à l'auteur sur wikipedia sous le même titre que l'ouvrage:

"Selon Meschonnic, le rythme est le mouvement de la parole dans l'écriture. Cette conceptualisation est une recherche des historicités comme représentations du langage et valeurs construites dans et par le discours au sens de Benveniste. La recherche de Meschonnic consiste à porter le rythme par le langage et la théorie du langage et à le défaire des représentations qui peu ou prou l'en détachent. Meschonnic part de la recherche philologique de Benveniste qui, à partir d'Héraclite, déplatonise le rythme, c'est-à-dire le rapporte au mouvement plus qu'au schéma et permet ainsi de penser non-métriquement l'organisation du discours. Mais c'est surtout à partir de son expérience de traducteur de la Bible et de poète que Meschonnic engage une anthropologie historique du langage comme critique du rythme. C'est parce que l'hébreu biblique ne connaît pas l'opposition vers/prose, que le traducteur confronté à une recherche d'un système répondant au système accentuel de la masore (transcription réalisée par les masorètes des accents disjonctifs et conjonctifs qui organisent le rythme biblique), théorise le rythme comme sujet du poème, c'est-à-dire organisation prosodique-rythmique du texte. On ne peut attendre d'une telle conceptualisation une quelconque grammaire du rythme, comme la stylistique universitaire l'exigerait, puisque, pour Meschonnic, le rythme c'est l'historicité même de l'écriture-lecture qui fait la valeur et la définition du poème inséparablement, y compris dans des genres discursifs ou littéraires non "poétiques". C'est justement le point de vue anthropologique qui permet de ne pas se contenter du discontinu mais de viser le continu : la force dans le langage comme rythme-relation, passage de sujet, passage de rythme. Cette conceptualisation du rythme dans l'oeuvre de Meschonnic n'est pas donnée une fois pour toutes et c'est par d'incessantes reprises et donc de nouveaux points de vue que la notion est reprise, toujours associée dans une systématique qui tient ensemble la prosodie comme sémantique sérielle et l'éthique comme force énonciative. On a pu confondre cette théorie du rythme avec un pan-rythmique alors même que la dynamique conceptuelle a peu à voir avec la visée d'une totalisation puisqu'elle engage une théorie du langage dont le noeud rythmique est une pensée du continu (de sa veille autant que de son exigence) par l'inconnu qui ne cesse de demander et de travailler l'historicité de ses formulations et la modernité de ses reprises. De ce point de vue, on peut dire qu'une telle théorisation n'intéresse pas que la notion ou les enjeux de cette notion mais bien plus largement "l'humaine condition" (Spinoza), ce qui demande de tenir ensemble la pensée du poème comme point critique de la pensée du langage et le poème de la pensée comme point éthique de toute épistémologie.")

lundi 19 janvier 2009

Tchékov à la Bastille dans une écriture collective et inventive

Du témoignage à la relation


Raczymow, Wajsbrot, Lecadet, Wajcman, Orner, Aaron, Cormann, Modiano… Oler, Cohen, Perec, Federman, Kofman, Burko-Falcman, Meschonnic, Vargaftig, Goscinny… Qu’ont en commun ces deux ensembles d’auteurs juifs-français, qui diffèrent tant par le genre et le style de leurs œuvres ? Les premiers, nés après la Libération, enfants ou petits-enfants des survivants de la Shoah, n’étaient pas là, c’est pourquoi ils ne peuvent témoigner de ce qui pourtant a déterminé tout leur être. Les seconds, nés peu avant ou pendant l’Occupation, appartiennent à la minorité d’enfants qui survécurent miraculeusement aux persécutions, cachés dans des institutions ou chez des familles. Etaient-ils là, eux qui étaient généralement trop jeunes pour vivre consciemment ce qui leur arrivait ? Enfants de survivants ou survivants-enfants, leur expérience commune serait alors d’appartenir à l’après, de témoigner de l’après-Auschwitz, de la difficile transmission et élaboration de la Shoah, dans l’univers d’aujourd’hui. « Témoins absents » ou par procuration, ces auteurs sont à la fois le témoin de leurs aînés et, de plus en plus, témoins d’eux-mêmes, de leur propre expérience de l’après. Par des textes inédits des auteurs en question, des essais théoriques et des études critiques, le présent recueil espère mieux faire connaître la vaste et riche panoplie de leurs œuvres.

Table des matières
Introduction
I. Textes d’auteur
Henri RACZYMOW : Histoire : Petit h et grande hache
Cécile WAJSBROT : Après coup
Clara LECADET : Le gardien
Alexandre OLER : Pépé n’a rien dit
II. Les « enfants cachés » (essais) 
Yoram MOUCHENIK : Passeurs de mémoire. Elaboration et transmission, soixante ans plus tard, chez les enfants juifs, traqués et cachés en France pendant l’Occupation
Steven JARON : Le témoignage discret de Marcel Cohen
Susan SULEIMAN : Expérimentation littéraire et traumatisme d’enfance: Perec et Federman
Sara HOROWITZ : Sarah Kofman et l’ambiguïté des mères
Eléonore HAMAIDE : Les enfants cachés, de Georges Perec à Berthe Burko-Falcman : un monde à reconstruire, une mémoire à inventer
Serge MARTIN : Henri Meschonnic et Bernard Vargaftig : le poème relation de vie après l’extermination des Juifs d’Europe
Nicolas ROUVIÈRE : Astérix et les pirates, ou l’obsession que le pire rate : la conjuration d’un naufrage de l’histoire
III. Deuxième et troisième générations (essais) 
Fransiska LOUWAGIE : « Métastases » d’Auschwitz. Modalités et limites d’une tradition testimoniale
Catherine OJALVO : Une mémoire lacunaire mais exaucée
Timo OBERGÖKER : Shoah et récit fictionnel, un champ de force délicat : Le Non de Clara de Soazig Aaron
Jean-Paul PILORGET : Un théâtre pavé d’horreur et de folie : Toujours l’orage de Enzo Cormann
Katja SCHUBERT : Les temps qui tremblent ou un passé possible de ce présent ? A propos de l’œuvre de Cécile Wajsbrot
Annelise SCHULTE NORDHOLT : Perec, Modiano, Raczymow et les lieux comme ancrages de la postmémoire
Bibliographie
Témoignages de l’après-Auschwitz dans la littérature juive-française d’aujourd’hui.
Enfants de survivants et survivants-enfants.
SCHULTE NORDHOLT, Annelise (éd.)
Amsterdam/New York, NY, 2008, 269 pp.
Pb: 978-90-420-2512-7
€ 54 / US$ 76
(texte de l'éditeur)
Cliquer sur l'image du livre pour aller sur le site de l'éditeur.

samedi 10 janvier 2009

Bon sang 9

Bonne année c'est aussi bon sang: du neuf, qu'on veut !
l'année neuve qui voit revenir toutes les occasions perdues, les perfusions de vieux sang, on n'en veut pas de ces biologistes de la mort 
les jeunes grecs veulent désarmer la police pour se passer des clans de politiciens qui tiennent le pays depuis les colonels: ça tache de sang
beaucoup d'israéliens et de palestiniens ne veulent plus des armes que les religions et les religieux fourbissent: ça plombe de sang
tous les sans qui vivent seuls et cherchent des papiers, des toits, des solidarités, des fraternités avant qu'ils pètent les plombs: ça coule de sang
faire du neuf avec les occasions gagnées: je te cherche et tu me trouves, ça saigne mon ego
les solutions et les questions ne font pas du neuf: un je-tu toujours neuf invente ce qui vient nous mettre à neuf le sang de la voix vive

(avec une pensée pour H. et pour tous les amis qui se font du sang d'encre avec cette tentative de poème)

Parole rencontre