mercredi 27 juillet 2022

Jean-Luc Parant nous a laissé sa main pleine de boules et de textes sur les yeux

Et je continue mais je ne continue rien. Ce qu’il y a surtout c’est que je ne suis pas encore mort, et que ces boules ne pourront pas s’arrêter tant qu’il fera jour puis nuit, nuit puis jour tout autour de moi et qu’il y en aura une sous mes pieds et une infinité au-dessus de moi.

Jean-Luc Parant, Mes yeux ne s’arrêtent jamais de voir ni mes mains de toucher (texte publié dans la revue Triages en 2012, texte qu'il m'avait envoyé)

Jean-Luc Parant nous a laissé sa main le 25 juillet à Caen, sa main pleine de boules et de textes sur les yeux. 

J'embrasse Kristell et tous les siens. 

Nous continuerons à rouler tous nos yeux dans ses boules pour mieux voir l'infini du langage.



Ci-dessus un dessin qu'il m'avait confié pour le numéro 72 de la revue Nu(e).

Ci-dessous  un texte publié dans Le Bout des Bordes à sa demande, puis une recension de sa trilogie (publiée chez Corti) dans Europe parmi bien d'autres paroles à lui redire pour mieux le garder en pleine terre ce grand poète de l'uni-vers - oui, d'un seul vers par lequel toute son expérience immense tenait

                                                                        les yeux en boule 

tu 

trouves le trou 

blanc de l’univers

avec le monde qui 

me perd la boule et les routes 

déroutées tout autour ta projection 

cartographique emboulée me met sur 

les frontières tournantes et les poètes sans tête 

et sans vers avec tout le monde dans un chapeau

tout le monde ronds comme un sou puis le village 

planétaire a rendez-vous au manège il tourne tourne jusqu’au

débordement le troublant poème des yeux sans bords et des boules 

sans tour ni pour ni contre un réseau routier il rougit décroûtez 

la terre 

jusqu’à la boule de feu la houle de ceux qui foulent 

à fond pour les fous de lieux ronds sans bords

débordez les itinéraires les téméraires

les héritiers les métiers sans boule

construisez le trou blanc 

de tout un chacun

sa chacune boule 

dans les yeux 

les yeux


Jean-Luc PARANT : Les Yeux. L’Envahissement des yeux (José Corti, 18 €) ; Les Yeux deux. L’Accouplement des yeux (José Corti, 18 €) ; Les Yeux trois. Le Déplacement des yeux (José Corti, 16 €). Kristell LOQUET, Le Chant des Cigalessuivi de Le Lundi au Soleil avec des illustrations de Jean-Luc Parant (Tarabuste, 12€20).

Il y a de fortes chances pour que Jean-Luc Parant se répète. Ces chances sont mêmes doubles : il fait des boules et des textes sur les yeux et il ne fait que cela puisque toute sa vie semble revenir à cette double répétition ! Donc, cet individu corrobore la version traditionnelle de l’artiste : obsessionnel et maniaco-dépressif. Aussi nous faut-il accepter avec quelque condescendance ses productions qui rendent compte de la face cachée de l’homme installé : la femme, le fou et l’enfant, les trois vieilles ficelles de l’esthétique philosophique pour la « modernité »… Ajoutons pour son cas quelques particularités, appelées ailleurs procédés, et nous en aurons fini avec le style Parant : des parallélismes thématiques, syntaxiques et prosodiques jusqu’à l’épuisement, des reprises que Kristell Loquet appelle judicieusement « nouvel angle du regard » (quatrième de A la trace des yeux, éd. Voix, 2001) qui cherchent à épuiser un filon ou, si l’on préfère, à faire boule de neige – et la critique aura à poursuivre à l’avenir les métaphores qui nourriront grassement son travail besogneux… Bref, il faudrait en finir avec Jean-Luc Parant ! Il est « envahissant » : son public est féminin (ne parlons pas de sa famille, voire de sa tribu), ses enfantillages casse-pieds et sa folie démentielle… Voilà maintenant un peu trop de livres qu’il est inutile de lire tellement ils se ressemblent. 

J’aurais écrit ici ce que toute critique à ce jour n’est pas loin de penser. Mais les livres vous travaillent ou vous jouent ou vous jouissent ou… et tout cela indûment, inconsciemment, imperturbablement, imparablement ; ils vous font plus que vous les faites : et vous vous faites être (pas seulement avoir : ce sont les critiques du premier paragraphe qui sont seulement eus… et pas [t]étés). Oui, vous êtes faits être, plus être, plus humain (c’est bête mais c’est comme ça et ça ne se réduit pas à un humanisme abstrait : voyez comme vous marchez avec vos yeux et sur une boule après avoir été roulé par Parant, ses yeux, ses boules !).

Les livres travaillent comme les yeux quand ils sont fermés et, comme les yeux quand ils sont ouverts, ils cherchent l’infini qu’ils ont aperçu quand ils étaient fermés. Un livre de Parant n’est ni ouvert ni fermé. Il est en boule ! Il met en boule ! Il fait la pensée dans la boule comme Tzara disait « dans la bouche ». Mais aussitôt il faut mettre cela au pluriel : « dans les yeux ». Au pluriel du continu unique : jusqu’au bout (des bordes – n’oubliez pas de visiter Le Bout des bordes, Le Journal de La Maison de l’Art Vivant, n° 7-8, chez Al Dante), jusqu’à ce que ça déborde. Et ça ne fait que déborder, que recommencer. Ce n’est pas pourquoi mais comment qui intéresse ici. Le débordement est continu : renversement toujours encore. La liste des procédés est un ratage de ce que fait Parant : une assignation au connu. Son renversement est à la fois infime, intime et infini : il intimide. On est tout petit : on devient enfant, on rougit devant ses yeux, devant son sexe parce que c’est l’invisible que nous touchons. Mais tout cela nous échappe comme nos mains, comme l’amour (envahissement, accouplement, déplacement). Et tout cela est vrai sans que la vérité (celle des philosophes, des scientifiques, des disciplinés…) ne soit le critère. C’est le poème Parant qui est vrai : il est pour de vrai ! Il est infiniment jouissance : « et jouir c’est comme se mettre debout et voler dans la matière » (Les Yeux deux, p. 75). Avec Parant le lecteur n’est pas assis : il vole dans la matière : le langage-relation. Il est envol. Pour cela il faut se laisser prendre, se faire être. Il faut décoller nos yeux qui croient que Parant se répète quand il ne fait que nous reprendre dans et par le corps-langage entièrement fait relation. Aucun terme (catégorie et autres assignations, désignations), aucune borne (pôle et autres limites, définitions) : un mouvement incessant, énervant : renversant ! 

 J’aime Péguy et Parant parce qu’ils sont renversants : l’un et l’autre mettent le contemporain sens dessus dessous : sans eux, il m’aurait eu : en quoi ils sont l’un et l’autre modernes. Et se faire avoir par le contemporain, par ses contemporains, c’est ne jamais pouvoir « v’ivre » (Ghérasim Luca) une telle expérience : « Accouplés, nous sommes complètement renversés : le sexe est devenu la tête, les jambes sont devenues les bras, les bras nos jambes, la tête notre sexe » (Les Yeux deux, p. 260). Chacun comprend la force évidente qu’une telle expérience porte dans notre contemporain : bien des discours sur (le sexe, le regard, le langage, la poésie, le monde…) s’effondrent dans leur répétition même et le poème Parant jubile, dans ses reprises mêmes, de ne jamais s’arrêter. De ne jamais s’arrêter même dans la (telle) lecture (c’est-à-dire la vie) « qui, se souvenant de son commencement, se rend compte qu’elle s’étend déjà infiniment loin pour infiniment longtemps », ainsi qu’écrit Kristell Loquet à la fin de ses deux expériences (je préfère ce terme à « récits ») qui continuent sa lecture de Jean-Luc Parant. Je continue avec eux parce qu’avec eux « tout est dans un temps d’embrassement » (Les Yeux trois, p. 139). Oui, comme dit Parant de ses textes dans ses dédicaces : nous sommes nous aussi « éclairés, éveillés, allumés » par eux ! Le renversement (re)commence. Encore encore.

                                                                         Serge Martin

                                                                          

 

 

dimanche 24 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (12) avec Eric Demelis



le sang noir de mon supplice s’achèvera

demain quand tu pousseras un cri pur

dans la surchauffe sociale dont le théâtre te

fait croire au roman russe et me dilate le cœur

 

jeudi 21 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (11) avec Eric Demelis



le sang noir de tes sourires en dit bien plus

que toutes mes paroles enfouies sous l’écri-

ture dépouillée de mon silence même si

tes efforts de composition la redynamisent

 


mardi 19 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (10) avec Eric Demelis



le sang noir de ta patience ne joue 

pas avec mes impatiences démesurées

mais retourne mon enfantine balourdise

pour qu’enfin nos correspondances arrivent

 


lundi 18 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (9) avec Eric Demelis




le sang noir de ton puits intérieur 

m’empêche de désobéir à ma voix

intérieure tellement pleine des évan-

géliques soubresauts de ta résonance

 


dimanche 17 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (8) avec Eric Demelis



le sang noir de tes rêves livre mon

pain quotidien dans la maison du

peuple que hantent nos utopies afin

que courent encore plus vite ta vie

 


samedi 16 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (7) avec Eric Demelis



le sang noir de nos emmêlements 

les yeux dans les oreilles jusqu’au

suicide de tout moralisme garde un 

œil fixé sur la grandeur de ta vérité 

 


 

vendredi 15 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (6) avec Eric Demelis



le sang noir de tes refus serrent mes 

dents contre les propagandistes

de l’arrière pendant que mes mots

réfractaires cherchent ta sororité

 


jeudi 14 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (5) avec Eric Demelis



le sang noir de ton jeu aux échecs

renverse les dogmes de mes rictus

et dégèle toutes les dents de ton anar-

chisme jusqu’à nous mettre ensemble

 


mardi 12 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (4) avec Eric Demelis


 

le sang noir de tes aréoles pointées

vers quel ciel beethovénien ensauvage

la forêt de mes doigts qui cherchent

l’indésirable dans tout ce que tu es

 


lundi 11 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (3) avec Eric Demelis

 le sang noir de ton corps muet

remplit mes yeux d’enluminures

et tous les plissements de ta peau

illuminent mes lèvres sabbatiques



 


dimanche 10 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (2) avec Eric Demelis


 le sang noir de tes jeux de patience

ouvre grande ma gueule métissée

au musée des imaginaires maudits

comme si tu me mangeais tout cru

 


vendredi 8 juillet 2022

Douze cris purs dans ton sang noir (1)

  

Serge Ritman

 

Douze cris purs dans ton sang noir

 

 

avec des encres d’Éric Demelis

 

Elle avait envie de crier, de courir quelque part pour échapper au vertige du sang qui battait violemment dans sa tête.

Louis Guilloux

 

le sang noir de ton paradis trouvé

tire ma langue jusqu’au fond retrouvé

de tes yeux tout pleins des larmes

héroïques de nos batailles perdues