mercredi 19 février 2014

ne vois-tu rien venir (avec Vivianne Perelmuter)


1.
tu entends intérieur extérieur et jour nuit et ici là-bas
je confonds tout dans un espace de rêves plus ces repères
comme tu m'attires sans savoir qui tu
es passage de voix elle parle dans mon film de tête
et là sur le bitume sa bande son file en dépassant
la ligne des phares et feux tout clignote
ou se recouvre en glissant vite lentement
tu entends c'est l'impossible de la bonne
distance indiscipinaire sans adresse et plus personne

sauf perdre le temps d'un café une cigarette
ne s'éteint jamais comme la petite lumière
au fond des bois ce carrefour des possibles
où tu croises toutes tes voix à la fois comme
en trop avec des légendes justes pour la nuit
des temps quand le monde s'use en routes
nocturnes une bienveillance des yeux
ils se ferment devant tant d'approches et touchent
l'attente

2.
si le poème marche dans sa chevelure il y a
des éclairs qui ressemblent à des idées tout à fait
un incendie la nuit les faits parlent eux-mêmes
et dans ce refus de tout commentaire la ville
ouverte dans ses fermetures qui bégaient sur
les murs tu lis ce qui n'a jamais été écrit et je
joues avec tes pertes de repères oui ça préfère
tous les points de vue sur la carte des vies en exil
intérieur allongé sous une lune combien cette nuit

là tu es toute démaquillée la ville inconsciente
tire nos langues dans la bouche d'un chiffonnier
de combien d'images déchirées au vent nous
rirons en Laponie les fabuleux voyages
sans un sous ni un trou pour les mannequins
de l'oubli au centre même de ma recherche
tu viens et on échange l'air d'une cigarette
l'autre aussitôt rallume l'aura la flamme des pas
de presque rien

3.
plus tu approches cette ville plus elle me regarde
de loin et multiplie les noms comme des appels
tu perds toutes les assignations pour des citations
elles tournent et forent la nuit d'explosantes un café
ou ta parole sous l'oreille d'un lit volant et cette voix
qui nous porte où sur le tapis roulant des saints
tunnels des saints feux rouges des saints écrans
je t'écris à la croisée des nuits défaites juste avant
les murs durs de l'aurore dans nos décombres

pour voir quelle apparition de corps vifs
dans l'air d'un racontage pour dire encore
la culture plus jamais dans sa barbarie je t'entre
choque sans aucune manière ni carnaval
tu as laissé à la maison le bonnet du docteur
de sociologie et les brèves ombres courent
jouer une partie combien d'autres de montage
ivre sans se prendre la tête pour voir surgir
l'aujourd'hui

4.
pas de ville sans se bobiner autour d'une femme
d'un nom de femme au moins ce fil rouge d'une main
à l'autre avec un recueil de matériaux les sols
les murs les ciels les graphes et les automobiles
pour augmenter mon asthme qui rentre dans ta vue
au souffle court d'une longue camarilla de rires
entre l'intériorité du souvenir et vieillir involontaire
dans les extérieurs nuits du rêve comme point
de passage et position contre tous les partis pris

dans une phrase proustienne son étrangèreté
dans les voix mêlées en une seule voix de bonne
heure beaucoup plus proche de l'oubli que
de ce que tu oses appeler mes souvenirs j'efface
l'inconstructible synthèse de ma théologie
prosaïque et de mon érudition satirique et trouée
par tous tes pessimismes sans communauté alors
ma dent creuse ébranle les poètes individualistes
sans gestes lyriques

5.
si s'accoupler à la nuit dans les rues avec la lumière
qui rase les entrées d'immeubles ou dans un café
la cordialité est enfin capable d'afficher le poète
travaille à la porte et si les signaux qui parlent
en profondeur ne remplacent rien d'autre alors
la distanciation est un rapprochement au coeur
de nos nuits d'amour et nos affinités électives
collectionnent les résolutions érotiques tout contre
ta métamorphose au plus près d'une peau vive

et plus on regarde le trottoir de près plus il vous
regarde de loin c'est comme l'amie chez qui tu
sonnes avant que l'aurore infernale du confort
bourgeois n'entre par la fenêtre j'ai juste le temps
des sentiments amoureux simultanément sans
argent ma carte bancaire s'échange dans l'oubli
des heures et j'apprends avec toi pour être fumées
les cigarettes s'abandonnent dans l'air j'inspire si
tu expires un trait de lumière

6.
la lune dort sur ses fesses à distance de clignotements
dans les beautés cachées des tours et détours quête
amoureuse sans savoir comme un athéisme du plan
où s'assimilent les points de vue qui bougent et des passés
devenus espaces tous ces passages du paysan de Paris
perdu en se cramponnant aux barres du métro un
reflet trouve dans les yeux toutes les migrations
de tes rêves et les clés de la ville en tête pour une
politisation de l'amour en me déshabituant de lire

je t'écris comme une lettre d'air nocturne ou plein
soleil avec cet empoisonnement intérieur qui étourdit
tous ces corps inassimilables à l'époque pour aller
vers l'inaccompli d'une traversée comme si les contes
rendaient invincibles cette femme qui marche
dans les creux du film un corps urbain la passante
met le feu aux poudres pour court-circuiter tout
scénario sans intensité où l'air se consume entièrement
en mouvement de pensée


(suite à venir)

Le Vertige des possibles

un film de Vivianne Perelmuter - Belgique, France - int : Christine Dory, François Barat, Vincent Dieutre... - 1h48
Anne est payée pour écrire des histoires mais elle n’y arrive plus. Pas du tout l’angoisse de la page blanche, tout le contraire. Et dans la vie c’est pareil : Anne n’arrive pas à choisir. Mais ce jour-là,et toute une nuit, entraînée bien malgré elle dans une errance à travers la ville, elle devra bien apprendre à s’orienter dans ce labyrinthe. Avant que le jour ne se lève, elle devra agir.


derrière l’allure animale devant

 Les "bêtes" qui accompagnent sont sur le site d'Aaron Clarke/Armand Dupuy : http://www.tessons.net/Aaron_Clarke
On ne fera plus comparaître la vie devant les catégories de la pensée, on jettera la pensée dans les catégories de la vie.

               Gilles Deleuze


l’allure animale elle
bouge derrière nous
les frissons courent devant
si elle tourne la belle
va l’amble au ralenti
m’anime comme tu ris
j’ai bu dans un bougé
des bêtes qui montent
montent et démontent
ma démarche je
t’épouse dans tes pas
alors ce partage des traces
récuse l’explication toute
de sa beauté je te
rencontre ce hasard
au milieu de vivre
ou c’est toi qui m’ouvre
à l’étrange d’un tel
bondir sans rien dire
d’autre qu’en marche
lente et dansée
ça me bouge et si c’est comme
tu ouvres la rose
et son pourquoi la violence
étonne le petit
tout ému jusqu’à
cette stupeur sans fin
on recommence nos bêtises
avec ma chatte et ton
bouc touffu plein de poils
cette girafe toute nue passe
son cou sur les foules qui
admirent aussi ses compagnons

avec ces mercis sa tranquillité
enfin préservée elle ralentit
pour bondir chez toi
et je t’embrasse tout le long
du cou jusqu’à descendre
ta nudité mouillée
dans nos sueurs
il dit qu’on peut trouver
à la vitesse si c’est la fourmi ou
l’escargot et un autre animal
avec notre corps commun
allant chacun son
film à voir l’autre
et l’autre dans ses pas
des bondirs à n’en plus
finir de courir au ralenti
pour s’apprendre à
danser dans tes pas
sans me marcher sur les pieds
si l’ouvert d’un mulot
ou c’est l’œil de l’éléphant
ou c’est l’œil de ton cheval
avec mouches pour intensifier
mes silences au galop
de toutes les insignifiances
élégiaques tu pleures
ou je ris des deux yeux
la panthère que tu décris
elle tourne autour
de parler et rien ne peut
t’échapper l’art
de cette expérience
en langage elle y

bondit ma mort dans ta
vie qui me tourne autour
de notre tour
tenir à la vie si
l’aveugle sans parole
n’ouvre pas la majuscule
ce n’est pas nommer rien
n’échappe la grâce
en frayant un vol
riche d’inconnu ce
savoir sans
savoir je te connais
s’il écrit pauvre en monde
son accumulation
sourde à l’allure
enterre en philosophie
le bondir s’il faut alors
prendre de pitié pourquoi
ce bonheur des poissons
en danse sans
pathos tu filmes nos
sympathies ici ou
nos rêves tout au fond
la licorne mon seul
désir c’est à marée basse
et l’effraction calme
quand je nage dans ton sillage
dans tes yeux ils sautent
leur brillance tapisse à peine
des lumières frétillantes
dans notre nuit qui vient
lentement tu caresses sa
corne et la musique crie

comme des bras qui brassent
les étourneaux loin s’entourent
des formes qui nagent
l’air de rien en grands
gestes sans répondre
à se faire bondir de ciel
en ciel vifs et comme nos
rythmes on vit en
je-tu pour trouver la force de
traverser sans cesse
et je danse tout ton corps
comme virevolte la mésange
dans ton sourire je lui
réponds sur l’autre branche
du cerisier sur le toit
alors la liste sans fin
ne s’arrête pas à une espèce
ça saute de vie et
virent et tournent nos merles
de janvier quand la
familiarité des disparitions
de mois en mois si l’écran
compatit et change de chaîne
ou encore les forêts détruites
et les animaux élevés si
bas quand le vilain
petit poussin du conte
court sans air la chanson
d’une politique des réserves
qui vise les nappes phréatiques
tu ris alors pour
entendre bondir
l’hirondelle et nos enfants

dimanche 16 février 2014

Dans les marges de "Flaques" d'Antoine Emaz


Antoine Emaz, Flaques, encres de Jean-Michel Marchetti, Saint-Jean-la-Bussière, Centrifuges, 2013.

Une voix. Bien sûr qu’elle se forme au travers des livres lus, même si on ne voit pas forcément l’apport de tel ou tel. Mais elle se forme au moins autant par la pratique personnelle, longue patiente, usante. Je ne dis pas un exercice en vue d’améliorer tel ou tel aspect, je dis bien pratique pure et simple, feuilles noircies à n’en plus finir. Au cours de ce travail de fond, ce qui doit tomber tombe, ce qui doit rester reste, ce qui doit naître naît.
(Extrait de Antoine Emaz, Cambouis, Seuil, 2009, p. 153)

On sait qu’Antoine Emaz publie depuis quelques années ses carnets dans des dispositifs livresques qui semblent « coller » aux carnets originaux tout en faisant probablement l’objet d’une recomposition ou pour le moins de retraits, ratures voire réécritures et certainement d’une opération de cadrage/montage. Faut-il considérer ces livres comme des compléments à l’œuvre poétique ou comme un prolongement si ce n’est une continuité ? François Bon écrit en présentant l’un de ces livres de notes : « L’œuvre unique que constitue Antoine Emaz est désormais établie sur ces deux registres : la poésie, et ce qui mène à la poésie » – une façon à la fois de dissocier et d’associer les deux « registres » d’Emaz. Lui-même semble ne pas confondre cette écriture au jour le jour avec celles des poèmes, mais on peut légitimement interroger un tel découpage d’autant que l’énergie semble exactement du même ordre éthique et poétique – et on est bien en peine de les dissocier quand dans les livres de poèmes, des passages sont visiblement des extraits à peine recomposés de ces carnets (blocs de prose voire blocs de courtes lignes qui peuvent fort bien provenir, ainsi reponctués, des carnets). Et si les (livres de) poèmes de ces dernières années (par exemple : Soirs, 1999 et Ras, 2001) n’ont pas hésité à se présenter dans des livres de « jours », c’est-à-dire avec des références temporelles rappelant l’écriture du diariste (pour reprendre les exemples cités : le premier du 22.05.96 au 7.12.98 et le second du 30.01.99 au 7.01.01), dans les livres de « notes » (Lichen, lichen, 2003 ; Cambouis, 2009 et Cuisine, 2012), les dates n’apparaissent pas et semblent donc effacées. Bref, il faut nous en tenir non à des classements génériques qui ont peu affaire avec l’écriture d’Emaz, mais avec la force poétique qui porte les notes comme les poèmes, c’est-à-dire augmenter l’attention au poème, à la voix, à la relation.
Flaques mêle par son titre une pluralité appliquée à deux domaines conjoints : le reflet et la boue mais on peut étendre cette polysémie au creux sur la route, au ciel sur la terre… sans compter que ce monosyllabe pète sec… avec de l’eau qui vous gicle au visage ou vous salit le pantalon ! Bref, il s’agit dès le titre de trouver la « force-forme » qu’il explicite avec une belle citation de Paul Klee qui loue « la marche à la forme » plus que « le but final ». Emaz va vers « la vie », « son courant muet » dont il s’agit de retenir quelques « miettes ». Parmi ces dernières, des photographies (on découvre que l’auteur « pas photographe » travaille sur des séries : « Ciels », « Sols », « Objets-temps »…) qui rejoignent parfois « quelque part » son écriture ; des lectures toujours – quel lecteur qui semble aller où les livres le conduisent mais avec toujours ce plaisir de découvrir, de se situer que ce soit avec Jacques Ancet, Charles Pennequin ou Fred Vargas et des moins connus comme Stéphanie Chaillou dont il lit la moitié des 90 pages parce « la limite d’une forme, c’est son efficacité ». Toute expérience ici prise en compte dans des comptes rendus serrés souvent porte une leçon jusqu’à l’aphorisme mais là encore, la note peut se contenter, par exemple après avoir lu « durant une heure » les Carnets de Joseph Joubert d’une courte citation (« Souviens-toi de cuver ton encre ») qui n’est pas sans jouer d’une certaine auto-dérision et qui certainement continue de tenir la note, ce ressassement éthique et poétique de la justesse du « geste d’écrire », lequel « remplace l’ennui par l’attente ». C’est peu mais c’est indispensable, semble crier en silence chaque bout de note de ce « lyrique contrarié » parce qu’il lie, paradoxalement, « du côté du heurt ». 
Les notes ouvrent des discussions – on se sent en relation le lisant – et on pourrait pinailler, relancer, contester, attester, ajouter… bref ces notes s’ouvrent au lecteur parce qu’on se sent proche peu ou prou non pas pour penser avec mais pour sentir l’énergie d’un « vivre-écrire ». Et pourtant, Emaz note que « de plus en plus » son « espace se rétrécit » : « réclusion volontaire dans le travail ». Pour aussitôt rouvrir : « même s’il s’agit d’un retrait pour rejoindre, au bout ». On se sent proche quand il fait la cuisine : on y est ou ce sont les épreuves d’un prochain livre, les poèmes qui n’avancent plus. Et il le sait : attention au « maniérisme » qui brise le « vif » du dire ! On peut parfois l’entendre dans ces notes mais on voit comment il lutte quand il accumule des « pas envie » ou se refuse à « contempler » le jardin qui ne demande qu’un « voir ». Et sous-jacente la « tension » : au cœur du « linéaire, répétitif, quotidien » il y a des « hantises » qui certainement donnent le « timbre », comme écrit Reverdy, la grande référence. Alors, Emaz se relit – c’est à l’occasion de Sauf qui reprend des publications anciennes : elles doivent retenir par une « incision de langue ». Manière de dire « rythme » et mieux encore « rythme-sujet » en se tenant dans le vocabulaire de l’époque. Ailleurs : « travailler la langue », plus loin « le dur de la langue » et, à propos de Antoine Mouton, « un vrai élan de langue », qui toujours essentialise ce dont on n’a qu’une représentation, c’est de parole ou, pour le dire comme Benveniste, de discours dont il est question y compris quand Emaz parle d'intensification, ces réénonciations qui visent « juste », « vrai ».   L’époque donc paraît éclatée. Pareil pour tel poème : le chaos, « ce bazar d’être ». Mais en même temps, il s’applique certainement cette remarque de Walter Benjamin : « un monde intérieur étroitement limité ». Il y a donc des fidélités, des reprises, des affinités (« on écrit ce qu’on peut d’où on est ») : du Bouchet avec Reverdy bien évidemment. 
Un mot qui revient : « endiguer » et ses déclinaisons : « enclosure »… mais il y a les « marges », ces notes « à mi-chemin d’un peu tout et n’importe quoi : description, poème, pensée, journal, bon mot, critique, ébauches… » Est-ce que ces « marges » endiguent ? Emaz répond par un jeu de mots : « ce que je mets en marge doit être une marge de manœuvre » pour « rejoindre, toujours rejoindre » parce qu’il ne faut pas éviter sa vie, ajoute-t-il plus loin. Des notes se reprennent (« Narcissisme, bis ») et reprennent (« le moraliste du XVIIe ») pour conclure : « il y a longtemps que j’ai arrangé ma vie en sorte de ne pas être dérangé ». Tout ça au fond pour garder cette liberté d’allure, cette errance des notes qui répondent à la « vie à vif plutôt que vie rangée, littérairement ordonnée » : « cette forme n’est pas fermée ». 
Entre posture populaire et critique radicale de toute posture, le mot « boulot » va du « boulot d’humain » au « boulot » d’écrivain : il rassemble « écrire un poème » et « faire cuire un chou-fleur »… Il y a de la solitude « sourde », comme la « douleur dans le dos », et du testament (ou la pensée d’un « racinement, le passé tassé dans le temps limité d’une vie ») qui ne regrette rien de son « geste » mais, de manière symptomatique, à ce moment-là – note suivante – une « drôle de pluie fine » ! Les lectures reviennent : Nerval, Chappuis sur Ronsard, d’autres. Les notations vont vite – on voit que l’essai taraude mais Emaz ne veut surtout pas alourdir : exemple, la notion de texte qu’il peut « défendre » parce que « valide » mais pas « nul ». Aussi, je me disais bien, « ce carnet ressemble de plus en plus à un journal » mais les notes doivent garder de la « tenue ». Aussi on comprend que ce que cherche Emaz, c’est rien d’autre dans l’écriture que « la résonance poétique de vivre » et non l’accord ou le désaccord avec l’époque. Il ajoute toutefois qu’il s’agit de « produire de l’inouï, pas de l’inaudible ». On retrouve ce ton cher à Georges Perros : « si un poème ne m’aide pas à vivre, à respirer mieux, alors il vaut moins pour moi qu’une clope ou un verre de rouge ». La comparaison éclaire-t-elle ? Pas plus, peut-être que celle entre les poèmes et les notes. Emaz veut pas trop savoir. Mais il sait quand il relit La Digue de Ludovic Degroote : « Texte payé et travaillé : ce que doit être un texte ». Il a écrit texte, pas poème ni note ! Mais il tient ce mouvement critique de Balzac, son Béatrix qu’Emaz relit souvent : « Nous avons des produits, nous n’avons plus d’œuvres » et, avec l'ami Degroote,  il sait que l’œuvre est à l’œuvre. Ceci dit, il écrit la plus courte de ses notes : « On ne sait jamais ». Et le revoilà rongé de doutes à chercher une sortie : un livre qui serait « la matière d’un poème » et son titre « Vieux ? » Et le revoilà à hésiter avec un lanceur à la Perec : « De Mémoire » ! Mais ça le tarabuste, « la règle des deux unités pour un poème : unité de son, unité de force ». Je ne vois pas bien pourquoi ça fait deux unités ou alors c’est retomber dans le classicisme dualiste d’un Valéry. Mais deux, c’est la tension : poèmes et notes. Et puis les meilleures œuvres ne se classent pas : la nouveauté ne doit pas s’exténuer. Une note courte encore qui vient prolonger loin la réflexion : « Il n’est que temps. Un titre ? »

Un souvenir fait rire en préparant une pintade aux raisins trempés dans l’eau-de-vie alors que le « gris, comme celui d’avant la neige » pointe ; et pourtant « cette magie ne viendra pas. On le sait, on se tait ». Il y a un creusement silencieux dans ces notes : pas seulement dans leur entre-deux mais au milieu d’elles, note écrite dans le « souffle court de fumeur », celui de Baudelaire « en vers ou en prose ». Et il faut se reconnaître différent de Noiret, de Titus-Carmel parce qu’il n’y a qu’une chose qui compte pour « essorer le style » : « j’aime mieux être libre et dedans, et dehors, partout ». Aussi le livre s’achève – mais on voit bien la coupe qui demande de se lancer ailleurs, dans le suivant, dans les précédents, dans une réénonciation, chacune la nôtre, parce qu’il nous a mis en bouche nos éclats de vie. Il s'achève sur la notion de « dépassement », certainement pas empruntée à un hegelianisme de bon aloi, parce qu’il s’est agi avec Emaz d’un « manque d’air ». Ecrire-vivre tient au poème qui continue : et pourquoi pas à ces notes travaillées par le poème, cette « énergie », qui certainement les porte. 
Les flaques sont-elles portées par le ciel ou est-ce l'inverse ? Et si c'était la boue des flaques qui porte le ciel de la surface sombre ? 
On n'en finit pas avec la quête d'air de Flaques… on relit pour tenir même le souffle court.
Encre originale de Jean-Michel Marchetti pour l'exemplaire 20/21