De la correspondance Paul Celan-René Char (éd. Etablie par Bertrand
Badiou, Gallimard, 2015), je ne retiendrai qu’un passage. Le voici aux pages
151-152 – c’est Paul Celan qui souligne :
Voyez-vous, j’ai toujours essayé de vous comprendre, de vous répondre,
de serrer votre parole comme on serre une main ; et c’était, bien entendu,
ma main qui serrait la vôtre, là où elle était sûre de ne pas
manquer la rencontre. Pour ce qui, dans votre œuvre, ne s’ouvrait pas – ou pas
encore – à ma compréhension, j’ai répondu par le respect et par
l’attente : on ne peut jamais prétendre à saisir entièrement – : ce
serait l’irrespect devant l’Inconnu qui habite – ou vient habiter – le
poète ; ce serait oublier que la poésie, cela se respire ; oublier
que la poésie vous aspire. (Mais ce souffle, ce rythme – d’où nous
vient-il ?) La pensée – muette –, et c’est encore la parole, organise
cette respiration ; critique, elle s’agglomère dans les
intervalles : elle dis-cerne, elle ne juge pas ; elle se
décide ; elle choisit : elle garde sa sympathie – elle obéit à la
sympathie.
Tout est ramassé dans ce paragraphe d’une lettre, non envoyée à René
Char mais bien enregistrée dans ses dossiers, lettre qui date du 22 mars 1962.
Peut-être parce que Celan avance au plus loin de tout ce qui le tient au plus
vivant du poème d’autant que la lettre met en garde René Char contre ceux qui
le « singent », bref contre tous les faiseurs et autres suiveurs…
Aussi ce passage tient-il ensemble une pensée corporelle du poème comme
relation (ou sympathie) en acte et rythme de l’inconnu ou inconnu du sujet de
la relation. Il faudrait souligner combien Celan oriente décisivement une telle
pensée du poème du côté d’une critique non philosophique si ce n’est anti…
comme critique dans et par le poème, c’est-à-dire invention d’un accueil à l’inconnu
de la relation, du dire (« c’est encore la parole ») comme relation (« dans
les intervalles ») : voix-rythme, souffle-relation.
Mais je ne veux rien expliquer, seulement souligner et donc répondre, « par
le respect et par l’attente », à ce paragraphe qui n’est pas près de s’arrêter
comme résonance vive d’une pensée du poème.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire