Armand Dupuy, Par
Mottes froides, Châtelineau (Belgique), le Taillis Pré, 2014.
L’écriture d’Armand Dupuy va avec. Elle va parce qu’elle
n’attend pas un dispositif bien réglé, une rhétorique huilée, une pensée
concoctée. Elle va parce qu’il s’agit d’avancer non pour quelque progrès
attendu mais pour répondre au geste qui lui n’a aucun besoin de dispositif –
philosophique, linguistique, politique voire même poétique… Son écriture fait
ce qu’elle dit : « on met toute sa tête dans le geste : on
dévale » (p. 15). Elle va avec parce que jamais elle délimite un
quelconque solipsisme du geste : il est toujours dévalement avec ou, comme
titre la série qui rythme ce livre, « une suite sans ». C'est sans savoir, sans explication, sans justification, sans programme. Suivre sans raison: dévaler ! Il écrit
toujours une suite : cette « suite sans » est écrite dans le
sillage (citation lançante) d’Israël Eliraz. Et l’auteur remercie in fine treize amis qui ont
« accompagné les versions de travail – ou des fragments – de plusieurs
textes par leurs dessins, peintures, collages ou photos, sur des papiers
manuscrits à quelques rares exemplaires ». La suite des amis donne le
courage de dire parce qu’on sait qu’avec Armand Dupuy, l’écriture n’est pas
affirmation péremptoire, diction sûre de ses effets. Elle est toujours
l’hésitation : « peut-être qu’il faudrait se taire » - on n’oublie pas son Mieux taire paru
chez AEncrages, donc doute au travail dans une parole qui tient à cette
« sale / manie d’amasser le peu dans un peu de mots » (p. 37) :
la manie fait la manière ; le rythme d’amasser le peu fait la relation – une
histoire et combien de liens ! Mais qui écrit dans ces accompagnements
amicaux, amoureux, humains ? Le sujet du poème (de l’art) avec Armand
Dupuy s’invente au plus juste de gestes corporels qui font toute une
anthropologie pleine de corps parce que pleine de langage : « comme
les mains sur la table, deux bêtes perdues » (ibid.). Il s’agit bien « d’appeler » (p. 40) et l’enjeu
n’est pas mince – on pourrait même dire qu’il est politique au sens le plus
fort du terme, disons alors éthique. Ce non savoir de l’écriture - qui peut
répondre à un tel appel ? - est alors comme un avènement : « je
ne sais / quoi s’émeut : presque une aile sur des barbelés » (p. 41).
L’écriture est alors au plus près du vivant, le vivant de la vie comme de la
mort, du ténu de ce qui résiste, l’invu de tout ce qu’on voit : « la
bataille d’une phrase » (p. 73), comme l’écrit Armand Dupuy évoquant un
travail manuel avec une brouette… La rime et la vie chez Armand Dupuy, c’est
certainement ce « on patauge » qu’on croirait emprunté à Antoine Emaz
mais ici il est fort de ses « mottes froides » et donc bien à
lui ! Jusqu’à cette voix dans la voix qui conclut sa
« suite » : « Voilà // je voudrais te dire il faut s’inventer / tu n’es pas là. //
Autour // rien n’a bougé » (p. 76). Oui, l’imperceptible de cette écriture
est l’immense de son invention : son écoute – c’est toute la qualité
magistrale de cette écriture, « sur / le point d’aboutir se dresse sans
nom, c’est tout » (p. 25). C’est immense, je le redis…
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