mardi 18 janvier 2011

Bibliographie analytique des travaux de recherche : une introduction (1.3. archives; enseignement; revues)


1.3. Travaux spécialisés

dans des domaines impliquant la littérature

Une activité de recherche peut-elle se concevoir séparée des autres activités du chercheur ? Il me semble que dans ce domaine on ne peut raisonner valablement qu’en concevant le point de vue de la recherche dans une configuration pour le moins complexe bien éloignée de toute vision simpliste qui réserverait au laboratoire et à ses chercheurs un domaine sans relation avec les autres laboratoires et chercheurs, donc les autres disciplines ou spécialités, et sans lien avec les autres activités (enseignement, engagement, vie sociale et culturelle voire vie familiale et affective…) qui constituent le « milieu » du laboratoire et de ses chercheurs. Étant entendu qu’une réduction au contemporain le plus immédiat omettrait d’apercevoir les implications d’un passé toujours au travail autant que celles d’un futur qui peut orienter les choix et les attitudes. Bref, il me semble qu’on peut valablement reprendre ce que Jean-Louis Chiss et Christian Puech proposaient s’agissant de la « disciplinarisation » en linguistique pour la valeur heuristique de leur propos dès qu’on veut un tant soit peu avoir une réflexion épistémologique sur l’activité de chercheur :

Le point de vue disciplinaire (ou disciplinarité) peut être sommairement caractérisé de quadruple manière : par rapport à l’avant, c’est-à-dire l’horizon de rétrospection où s’inscrit la « nouveauté » théorique ; par rapport à l’après, c’est-à-dire l’horizon de projection vers lequel tend l’objet conceptuel ; par rapport à l’actuel, à la synchronie où se joue la relation aux autres discours de connaissance et aux contextes en général de l’activité théorique, la disciplinarité supposant l’interdisciplinarité, c’est-à-dire les dispositions, différences et accointances dans le jeu des disciplines ; par rapport enfin à ces trois dimensions que réunissent les exigences de transmissibilité parmi lesquelles figure (à côté de la vulgarisation dite scientifique) la didactisation à multiples étages dont le premier nous semble déjà impliqué à l’intérieur même de la constitution disciplinaire[1].

Aussi aimerais-je ici non faire le tour de ces « horizons » mais proposer pour ce qui me concerne les points de fuite qui organisent ou du moins orientent ma recherche dans sa diversité et dans le continu qui l’anime sans pour autant l’uniformiser. Le premier domaine que je voudrais interroger relève paradoxalement des deux « horizons » que pointent Chiss et Puech : les archives constituent en effet à la fois un domaine de rétrospection et de projection dans mes recherches. Le second est d’emblée et comme naturellement pris dans leur quatrième dimension puisqu’il s’agit de la didactique de la littérature voire plus généralement du rapport que mes recherches ne cessent d’entretenir avec l’enseignement, les questions de l’enseignement. Pour ce qui concerne le troisième et dernier domaine que je voudrais évoquer, les revues, je pourrais fort bien le consigner sous l’autorité du concept d’interdisciplinarité puisque les problèmes de l’édition et de l’histoire littéraire viennent s’ajouter à ceux de l’approche critique des œuvres en chantier dans cet espace qui ne se définit que par sa force d’intervention même imperceptible dans une époque donnée.

1.3.1. Archives

La recherche est toujours située. Ma nomination à Caen m’a immédiatement mis au contact d’une institution dont la vocation est l’archive : l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine dont les fonds déposés le sont dans ce très beau site de l’agglomération caennaise qu’est l’abbaye d’Ardenne.

Les hasards d’une nomination viennent parfois conforter des goûts profonds. Habitant auparavant l’agglomération de Cergy-Pontoise et ayant progressivement construit une réflexion dans le domaine de la didactique de la poésie, quand avec le fervent soutien de Gaston Mialaret, alors professeur des universités à Caen, j’ai commencé avec Marie-Claire Martin à écrire pour la collection qu’il dirigeait aux Presses Universitaires de France, « L’Éducateur », un ouvrage à ce propos, il m’a fallu construire l’épaisseur historique des dispositifs didactiques de la poésie à l’école. Aussi ai-je fréquenté régulièrement pendant plusieurs années le petit Musée départemental de l’éducation sis à Saint-Ouen l’Aumône dans l’ancienne école communale de filles bâtie en 1903. Dans ces années, début quatre-vingt-dix, un collègue historien de la didactique du français y occupait à lui seul souvent l’unique salle de consultation et il a dû de temps en temps me faire un peu de place. C’est en observant Pierre Boutan[2] travailler dans ce minuscule espace que je me suis initié à l’archivistique. C’est dans ce lieu où le classement était balbutiant que j’ai dépouillé une documentation très riche concernant l’enseignement de la poésie à l’école sur près de deux siècles. Ce « goût de l’archive[3] » s’est donc naturellement poursuivi ici à Caen après qu’à Saint-Ouen l’Aumône j’ai compulsé, par exemple, le maintenant fameux dictionnaire Buisson[4]. Ce qui me permet de retourner ici à mes propres archives :

Marie-Claire et Serge Martin, préface de Bernard Noël, Les Poésies, l’école, Paris, P.U.F., « L’Éducateur », 1997.

J’ai immédiatement fréquenté l’I.M.E.C. non seulement pour ses manifestations culturelles mais également pour y découvrir d’abord sa bibliothèque puis ses fonds. C’est à ces contacts physiques et intellectuels, c’est avec les personnels qui de près ou de loin sont au service des archives, que j’ai pris goût et trouvé intérêt à la recherche dans et par les archives. On objectera immédiatement à mon expérience le fait que je n’ai pas une formation d’archiviste, que je n’ai pas vraiment acquis la technicité de ceux qui se sont spécialisés en génétique textuelle, que je n’ai pas non plus obtempéré aux sollicitations peut-être les plus intéressantes qu’offrait l’I.M.E.C. J’ai toutefois, avec l’aide d’Albert Dichy, directeur littéraire de l’I.M.E.C., très rapidement ouvert un atelier-séminaire qui pendant une année universitaire a accueilli des chercheurs, des écrivains, des amateurs, des enseignants autour de quelques fonds de l’I.M.E.C. choisis au gré de ces rencontres fortes d’amitié et de de passion pour les archives. Puis deux journées d’études ont suivi et enfin mon insertion réelle dans le LASLAR (UCBN) a permis que mon travail s’affirme et s’oriente plus fermement tout en laissant se faire les sollicitations nouvelles telles que les rencontres autour des traducteurs, des éditeurs et des poètes, qui les ont nourries.

À ce jour, mon bilan d’exploration des fonds de l’I.M.E.C. peut paraître assez maigre car le travail de bénédictin que demandent les archives est à proprement parler un travail dont le bénéfice n’est donné qu’aux coureurs de fond… Néanmoins, deux projets sont engagés : celui autour des Cahiers du chemin dont le résultat actuel accompagne cette présentation, et celui qui accompagne le fonds « Henri Meschonnic », ces deux projets étant d’ailleurs concomitants. Ce dernier fonds m’a permis d’ores et déjà d’exposer à mes collègues et dans d’autres rencontres les premières trouvailles, certes modestes, mais prometteuses, dont voici deux exemples concernant les manuscrits des traductions bibliques :

« Henri Meschonnic traducteur du Livre de Jonas : une relation de voix » dans Graphè n° 19 (« Le Livre de Jonas »), Arras, Artois Presses Université, 1er trimestre 2010, p. 201-216.

« Réécrire hors toute représentation avec Henri Meschonnic et Claude Régy », journées d’études interdisciplinaires « Qu’est-ce qu’une réécriture ? », sous la direction de Franck Bauer et Vincent Amiel, MRSH, LASLAR, UCBN, 27 et 28 mars 2009 (à paraître dans la revue Elseneur, PUC).

J’envisage pour l’avenir l’organisation de rencontres autour de ces fonds. La première prendra la forme d’un workshop au printemps 2012 autour du fonds « Meschonnic » avec le soutien de l’I.M.E.C. et du LASLAR (UCBN) puisqu’à l’occasion des quatre-vingts ans de la naissance d’Henri Meschonnic, j’aimerais avec Albert Dichy ouvrir le fonds dans tous les sens du terme : ne plus être le seul consultant ; montrer que ce fonds peut intéresser des non-spécialistes de Meschonnic par les connexions qu’il offre avec d’autres fonds, d’autres sujets de recherche ; enfin engager la continuité de l’aventure intellectuelle et artistique de Meschonnic dans des directions multiples et riches que l’œuvre et ses archives autorisent à concevoir quand d’aucuns pourraient la résumer à quelques formules réductrices et sans lendemain.

Outre la publication d’inédits voire de dossiers autour de questions vives soulevées par l’œuvre, le projet d’une biographie intellectuelle qui me tient à cœur prendra forcément appui sur ces archives et celles d’autres fonds adjacents. C’est précisément à cette occasion que je ne manquerai pas de tester la force de la proposition épistémologique de Chiss et Puech : dans quels horizons de rétrospection et de projection peut-on concevoir et faire vivre l’œuvre de Meschonnic mais également dans quels horizons s’est-elle elle-même projetée et pensée dans ses différents moments ? dans quelle situation interdisciplinaire s’est-elle construite et comment sa transmissibilité s’est-elle effectuée et continue-t-elle à opérer ? Bref, une biographie intellectuelle se doit avec un tel itinéraire de pensée et de création d’inventer bien plus que la réponse à une vie et à une œuvre sur les patrons d’une homogénéité interne et externe que maintiendrait peut-être trop la métaphore de l’horizon. En visant une telle biographie intellectuelle, il s’agirait davantage de saisir au plus vif ses « lignes de fuite ». Alors peut-être que les couleurs qui traversant la rosace de l’œuvre-vie laisseraient passer des intensités toujours nouvelles selon les heures de la visite, les points de vue de l’observateur et les conditions météorologiques de la recherche – je veux dire les conditions épistémologiques et politiques de la recherche.

En passant d’un fonds à l’autre, en veillant à toujours se laisser faire par les inattendus de la recherche, que ce soit pour faire l’histoire d’une revue ou que ce soit en vue de la rédaction d’une biographie, les archives permettraient alors d’éviter ce que Michel Foucault notait in fine dans son Archéologie du savoir :

À ne reconnaître dans la science que le cumul linéaire des vérités et l’orthogenèse de la raison, à ne pas reconnaître en elle une pratique discursive qui a ses niveaux, ses seuils, ses ruptures diverses, on ne peut décrire qu’un seul partage historique, dont on reconduit sans cesse le modèle tout au long des temps, et pour n’importe quelle forme de savoir : le partage entre ce qui n’est pas encore scientifique et ce qui l’est définitivement. Toute l’épaisseur des décrochages, toute la dispersion des ruptures, tout le décalage de leurs effets et le jeu de leur interdépendance se trouvent réduits à l’acte monotone d’une fondation qu’il faut toujours répéter[5].

On ne peut pas poursuivre a priori ce point de vue du discours, comme activité critique au travail par la recherche des historicités, dès que l’enseignement avec ses contraintes à la fois institutionnelles et professionnelles est requis avec l’activité jamais vraiment aboutie du chercheur. Celui-ci doit-il alors abandonner ses options pour un temps réservé aux apprentissages, pour un espace purement scolaire ? Il s’y autoriserait à oublier l’épistémè alors même que cette dernière oblige à penser toujours davantage « un champ indéfini de relations » sans viser pour autant « l’unité souveraine d’un sujet, d’un esprit ou d’une époque[6] » mais en s’essayant à saisir « l’interférence et la mutuelle transformation[7] » des pratiques discursives les plus diverses : en premier lieu, celle de l’enseignant et du chercheur. Je ne pense pas qu’un tel abandon soit nécessaire.

1.3.2. Enseignement

La plus grande partie de mon activité rédactionnelle est depuis fort longtemps sous l’emprise de ce que Chiss et Puech appellent la didactisation. Plus précisément, parce que j’ai été longtemps enseignant avec de jeunes élèves, que je suis devenu formateur d’enseignants et qu’enfin mes activités toujours présentes d’enseignant sont principalement orientées vers une réflexion sur la didactique de la littérature à tous les niveaux de l’enseignement, je ne peux que constater ce fort atavisme : écrire engage une pensée et une pratique de la transmission. Cette pensée passe par cette pratique et la transforme en même temps qu’elle en constitue souvent l’orientation : la relation critique s’augmenterait dans et avec les œuvres parce qu’elle ne cesserait de se penser comme relation didactique et pédagogique, c’est-à-dire, relation où le sujet de la connaissance et le sujet de la transmission, dans leur pluralité propre, ne cessent de s’entretenir.

Depuis 1990, j’ai accepté à l’invitation de Jean-Louis Chiss de participer au comité de rédaction de la revue Le Français aujourd’hui puis, trois ans plus tard, à celle de Daniel Delas de partager avec lui la chronique poésie de cette revue et alors d’étendre ou plutôt de ne cesser de diversifier les activités éditoriales avec des revues très diverses dans les domaines liés à l’enseignement (Les Actes de lecture, Argos, Les Cahiers Robinson, Les Cahiers pédagogiques, Enjeux, etc.). D’une manière ou d’une autre, consciemment ou inconsciemment, ont agi à ce niveau pour ce qui me concerne des phénomènes dont a fort bien rendu compte Michel de Certeau en son temps :

Le raté ou l’échec de la raison est précisément le point aveugle qui le fait accéder à une autre dimension, celle d’une pensée, qui s’articule sur du différent comme son insaisissable nécessité. La symbolique est indissociable du ratage. Les pratiques quotidiennes, fondées sur le rapport à l’occasion, c’est-à-dire sur le temps accidenté, seraient donc, éparpillées tout au long de la durée, dans la situation d’actes de pensée. Des gestes permanents de la pensée[8].

En effet, je ne pense pas avoir cherché dans ces activités réflexives liées à mon métier d’enseignant une rationalité autorisant la connaissance de ses conditions et finalités en vue d’une maîtrise éventuelle de ses aléas ; j’ai au contraire toujours cherché à lier le plus quotidien voire le plus ordinaire de la pratique enseignante aux problématiques les plus ambitieuses et parfois les plus éloignées de ce que trop souvent décrétait et continue à décréter « l’empire de l’évidence dans la technocratie fonctionnaliste[9] », comme écrit M. de Certeau dans sa conclusion titrée significativement « Indéterminées[10] ». Peut-être qu’à contre-courant de tout ce qui a pu se faire dans ces années mais également dans une interaction forte avec ce qui visait un renouveau des déterminations dans les institutions d’enseignement alors troublées par des reconfigurations générales et locales, j’ai toujours veillé à maintenir vifs les problèmes qui ne permettent pas une lisibilité immédiate et un fonctionnalisme utilitariste en didactique du français : d’où ma prédilection pour « la poésie » en l’articulant sans cesse à l’exigence d’un continuum de la maternelle à l’université et à celle d’un continu du poème à tout le langage. On pourra dire alors que ces écrits parfois répétitifs un peu comme des graffiti ne font que témoigner au mieux des « illisibilités d’épaisseurs dans le même lieu, de ruses dans l’agir et d’accidents de l’histoire[11] ». Oui, des graffiti « pour des parcours indéterminés[12] »…

Peut-être suffirait-il alors de rappeler une communication faite lors d’une rencontre belgo-française de didacticiens de la poésie publiée dans la « revue de didactique du français » des « facultés universitaires Notre-Dame de la Paix » de Namur. J’y enfreins multiplement la lisibilité, la clarté et la linéarité puisque la Belgique n’est pas la France, l’enseignement catholique n’est pas public voire républicain, la poésie n’est pas la politique, le thrène n’est pas l’épithalame – j’y convoque en effet deux livres de Valérie Rouzeau fort différents – et que la théorie n’est pas la pratique. À moins que le premier terme et le second se voient transformés par leur relation. Un peu comme l’enseignement n’est jamais ce que l’on croit dès que la transmission devient relation : plus de triangle didactique ou de dualité hiérarchique, plus de pédagogisme et pas plus de traditionalisme. Seulement des sujets qui se trouvent à condition qu’ils s’écoutent, qu’ils écoutent « l’imprévu[13] » de la relation. C’est pourquoi, paradoxalement, avec l’enseignement, on n’a pas à viser uniquement la pratique, le terrain, mais bien une transformation de la théorie, de la recherche puisque, comme le rappelait de Certeau, « « le temps de la théorie est en fait lié à l’improbable ». Quoi de plus improbable qu’une situation d’enseignement à condition qu’on y porte attention : c’est tout ce qui en fait l’heuristique jusque dans et pour la recherche.

« Une poétique de la relation avec les poèmes au cœur d’une politique scolaire de la relation aujourd’hui » dans Enjeux, revue de didactique du français, n° 56, Namur, mars 2003, p. 23-29.

1.3.3. Revues

C’est bien « l’imprévu » qui fait la revue ou alors elle perd sa force, son rendez-vous avec l’histoire. Un tel rendez-vous n’est pas prévisible, il est toujours au présent si l’imprévu est ce qu’il y a de plus actif. On ne programme pas une revue même si son animateur et/ou son équipe rédactionnelle sont au plus vif d’une écoute de l’avenir du présent comme du passé.

Les revues constituent dans le domaine éditorial ainsi que du point de vue de la littérature une réinvention toujours singulière du fameux mot que Victor Hugo a certainement repris à l’air du temps, d’un temps à la fois toujours circonstanciel et immémorial : « solitaire solidaire[14] » et que Camus hier et aujourd’hui symboliserait encore. Toujours à situer, une telle formule pointe la force éthique qu’une expérience revuistique peut porter.

Mon intérêt pour les revues est à la fois ancien et récent. Il remonte à mes premières lectures théoriques et à mes premiers tentatives d’écriture. Les articles de La NRF que dirigeait Georges Lambrichs, ceux des Temps modernes comme ceux de la revue Esprit ont été pour moi les accompagnements si ce n’est les hors-d’œuvre de choix de mes premières lectures « théoriques ». Il y a une saveur des commencements qu’offre la revue qu’on ne peut connaître avec le livre. Quand on a goûté à cette aventure de la lecture qui augmente ainsi son avènement au nouveau et peut-être même à l’inouï de la pensée se faisant, on ne peut ni l’oublier ni l’abandonner. Certes, bien des déconvenues arrivent : les commencements s’avèrent trop souvent de peu de consistance et jouent plus à la mauvaise répétition qu’à la reprise – ce ressouvenir en avant ; les commencements avec les revues s’ils restent toujours actifs s’avèrent moins mobilisables parce que l’archive y est forcément disséminée, inévitablement rendue au collectif, voire à l’impersonnel. Cependant, c’est ce mouvement à la fois naissant et presque aussitôt fondue dans la multitude des discours qui fait tout l’intérêt et la force des revues. On est obligé d’y saisir le commencement dans la foule discursive hors de toute abstraction essentialiste, dans la relation multiforme des paroles et des silences, des répétitions et des reprises. On est immédiatement pris au jeu des historicités de la relation critique. Qu’on lise ou qu’on écrive. Les revues font d’ailleurs le continu de la lecture et de l’écriture. Lisant une revue, on refait toujours son sommaire : on le défait dans ce mouvement infini des lectures qui ne cessent d’augmenter l’aventure des rencontres imprévues. Lisant une revue, on manipule ou on est manipulé par une bibliothèque qui tient dans les deux mains.

Il y a aussi cette démocratie qu’inventent les revues puisqu’elles permettent de publier bien plus d’essais que l’édition livresque.

L’intérêt pour les revues ne m’est pas particulier et ces dernières années, elles font l’objet de plus en plus de recherches et donc d’intérêt : d’aucuns se plaignent de leur nombre tout en déplorant qu’il n’y en aurait plus de « grandes »… J’ai pu renouveler mon goût pour les revues en fréquentant la bibliothèque de l’I.M.E.C. dont la collection dans ce domaine est impressionnante.

Mes expériences multiples en revues, qu’elles soient didactiques, littéraires poursuivent cette aventure. Le travail en cours dont cette habilitation me donne l’occasion de marquer une étape décisive avec l’histoire des Cahiers du chemin n’est qu’un moment dans une expérience toujours vive.

« Les revues meurent… et vivent toujours », Triages n° 20, Saint-Benoît-du-Sault : 2008, p. 5-6 puis dossier p. 7-14.


[1]. Jean-Louis Chiss et Christian Puech, Le Langage et ses disciplines. XIXe-XXe siècles, Paris/Bruxelles, De Boeck & Larcier, département Duculot, « Champs linguistiques », 1999, p. 10.

[2]. P. Boutan, La Langue des Messieurs. Histoire de l’enseignement du français, Paris, Armand Colin, 1997.

[3]. J’emprunte bien évidemment à Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Paris, Seuil, 1989.

[4]. C’est Pierre Nora qui a rappelé l’importance du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson (Hachette, 1887), directeur de l'enseignement primaire du ministère de l'Instruction Publique (1882-1896) : « Le Dictionnaire de Pédagogie de Ferdinand Buisson, cathédrale de l’école primaire », dans P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire. I. La République, Paris, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1984, p. 353-378 ; rééd. Paris, Gallimard, « Quarto », 1997, t. I, p. 327-347. En 2004, la Bibliothèque nationale de France a numérisé l’édition de 1887, la plus diffusée (20000 exemplaires). L’INRP a numérisé en 2005 celle de 1911, à peu près introuvable malgré un tirage de 5500 exemplaires. Voir Patrick Dubois, Le Dictionnaire de Ferdinand Buisson. Aux fondations de l’école républicaine (1878-1911), Peter Lang, 2002.

[5]. M. Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1969, 245-246.

[6]. Ibid., p. 250.

[7]. Ibid., p. 255.

[8]. M. de Certeau, L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, « Folio/essais », 1990, p. 296.

[9]. Ibid.

[10]. Ibid. p. 289.

[11]. Ibid., p. 293.

[12]. Ibid.

[13]. Ibid., p. 295.

[14]. V. Hugo, « Ma vie se résume en deux mots : solitaire, solidaire » (Choses vues, 1870-1871 : voir la communication de David Charles au Groupe Hugo (Université Paris VII-Diderot, équipe XIXe siècle) du 25 février 2006 : « Buvard, miroir, poème (Les Misérables) »). Et c’est le titre que la fille de Camus donne à la biographie de son père : Catherine Camus, Albert Camus. Solitaire et solidaire, Paris, Michel Lafon, 2009.

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