vendredi 18 septembre 2015

en cheminant dans tes pas avec Germaine Krull


 
Germaine Krull, Autoportrait, 1927, Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Pinakothek der Moderne, München
elle va chien fou et toi
je te suis les pas dans
ses nudités révolutionnaires
avec ses ratages alors dans
son corps à sa sœur toute
la vie en rythme Delaunay
elle doute même si tous
ses fers croisent le progrès
mais c’est la brume
des lumières qui fument
sa cigarette pour voir
le métal des ponts et
relations ça chauffe au noir

des clochards la touchent
et sans détour elle
fait son marché au trône
pour que la fête gagne
les sans-voix pleins
d’oralité vive en coups
d’œil dans les variétés
sa magie noire occupe
les rues de Marseille
et des banlieues à budget
réduit on s’y chauffe
en espiègles promenades
où tournent les pages
d’un quai des brumes
pour que Maldoror
nous déchante un opéra

et ses plongées enquêtent
pour que les mannequins vivent
dans l’ombre des bastilles
aussi les femmes artistes
tiennent les mains d’ouvriers
dans leurs sourires ou d'elles
leurs yeux voilés larmes
pour jouir dans l’écoute
des découpes que déborde
l’énergie des seins et
fesses ou ventres sous
un noir que le policier
raconte dans les doigts
c’est la beauté du rimmel
envahie par les larmes
Berthe Bovy agrandie

ça roule les mécaniques
dans le pays de Gérard
et ça fonce vers Marseille
l’automobile chromée
ramasse toutes les feuilles
des reflets d’un automne
pour que l’air vole
dans les cheveux vite
les mains nues déshabillent
tous les regards et touchent
en arrêtant les manigances
pour trouver les frivolités
qui bouchent les maîtrises
en lâcher prise c’est pour voir
projeter nos petits mystères

comme les bois flottants
vers l’Asie d’une voyante
nous voilà en suspension
comme si le bras sortait
du lit des guerres et rêvait
un De Gaule libéré tous
sur la route je reprends
ta main photographique
pour me la donner à ta vue



Germaine Krull (1897-1985), Un destin de photographe, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Paris 8e







samedi 12 septembre 2015

derrière l’allure animale c’est devant



On ne fera plus comparaître la vie devant les catégories de la pensée, on jettera la pensée dans les catégories de la vie.
Gilles Deleuze

l’allure animale elle
bouge derrière nous
les frissons courent devant
si elle tourne la belle
va l’amble au ralenti
m’anime comme tu ris
j’ai bu dans un bougé
des bêtes qui montent
montent et démontent
ma démarche je
t’épouse dans tes pas
alors ce partage des traces
récuse l’explication toute
de sa beauté je te
rencontre ce hasard
au milieu de vivre
ou c’est toi qui m’ouvre
à l’étrange d’un tel
bondir sans rien dire
d’autre qu’en marche
lente et dansée
ça me bouge et si c’est comme
tu ouvres la rose
et son pourquoi la violence
étonne le petit
tout ému jusqu’à
cette stupeur sans fin
on recommence nos bêtises
avec ma chatte et ton
bouc touffu plein de poils
cette girafe toute nue passe
son cou sur les foules qui
admirent aussi ses compagnons




avec ces mercis sa tranquillité
enfin préservée elle ralentit
pour bondir chez toi
et je t’embrasse tout le long
du cou jusqu’à descendre
ta nudité mouillée
dans nos sueurs
il dit qu’on peut trouver
à la vitesse si c’est la fourmi ou
l’escargot et un autre animal
avec notre corps commun
allant chacun son
film à voir l’autre
et l’autre dans ses pas
des bondirs à n’en plus
finir de courir au ralenti
pour s’apprendre à
danser dans tes pas
sans me marcher sur les pieds
si l’ouvert d’un mulot
ou c’est l’œil de l’éléphant
ou c’est l’œil de ton cheval
avec mouches pour intensifier
mes silences au galop
de toutes les insignifiances
élégiaques tu pleures
ou je ris des deux yeux
la panthère que tu décris
elle tourne autour
de parler et rien ne peut
t’échapper l’art
de cette expérience
en langage elle y

bondit ma mort dans ta
vie qui me tourne autour
de notre tour
tenir à la vie si
l’aveugle sans parole
n’ouvre pas la majuscule
ce n’est pas nommer rien
n’échappe la grâce
en frayant un vol
riche d’inconnu ce
savoir sans
savoir je te connais
s’il écrit pauvre en monde
son accumulation
sourde à l’allure
enterre en philosophie
le bondir s’il faut alors
prendre de pitié pourquoi
ce bonheur des poissons
en danse sans
pathos tu filmes nos
sympathies ici ou
nos rêves tout au fond
la licorne mon seul
désir c’est à marée basse
et l’effraction calme
quand je nage dans ton sillage
dans tes yeux ils sautent
leur brillance tapisse à peine
des lumières frétillantes
dans notre nuit qui vient
lentement tu caresses sa
corne et la musique crie


comme des bras qui brassent
les étourneaux loin s’entourent
des formes qui nagent
l’air de rien en grands
gestes sans répondre
à se faire bondir de ciel
en ciel vifs et comme nos
rythmes on vit en
je-tu pour trouver la force de
traverser sans cesse
et je danse tout ton corps
comme virevolte la mésange
dans ton sourire je lui
réponds sur l’autre branche
du cerisier sur le toit
alors la liste sans fin
ne s’arrête pas à une espèce
ça saute de vie et
virent et tournent nos merles
de janvier quand la
familiarité des disparitions
de mois en mois si l’écran
compatit et change de chaîne
ou encore les forêts détruites
et les animaux élevés si
bas quand le vilain
petit poussin du conte
court sans air la chanson
d’une politique des réserves
qui vise les nappes phréatiques
tu ris alors pour
entendre bondir

l’hirondelle et nos enfants

jeudi 10 septembre 2015

Henri Poncet, le grand éditeur continue dans les livres et revues qu'il a publiés

Dans ARALD (Livres et lectures en Rhône-Alpes), j'apprends le décès d'un très grand éditeur et suis profondément touché car, avec Henri Poncet, j'ai eu de bons moments autour de projets aboutis ou pas : Henri était toujours avides d'avenir et d'un présent plein de poèmes-relations. Je n'oublie pas aussi sa folie de revuiste et pour quelles revues ! Publier dans La Polygraphe était un grand bonheur tellement la revue débordait d'énergie, de trouvailles essentielles...
Un seul livre chez lui en 2005 : Ma Retenue avec des peintures de Ben-Ami Koller, autre ami disparu chez lequel Henri m'avait rejoint un soir pour une lecture et un moment amical inoubliable. 

***
Nous avons appris le 18 juillet la disparition de l'éditeur Henri Poncet.
À Seyssel puis à Chambéry, il a mené à la tête des éditions Comp'Act puis L'Act'Mem une formidable activité de découvreur et d'éclaireur dans le domaine de la littérature et de la poésie.
Fondées en 1986 à Seyssel, dans l'Ain, les Editions Comp'Act ont publié jusqu'en 2007 plusieurs centaines de livres consacrés à la littérature, au théâtre et à la poésie contemporaine. À Chambéry, Henri Poncet et Annette Colliot-Thélène avaient fondé ensuite L’Act Mem qui a poursuivi ses activités éditoriales jusqu'en 2011. 
Textes anciens d'Eschylle, traductions d'écrivains allemands de l'expressionnisme, romans, récits, essais critiques et surtout poésie contemporaine, Henri Poncet possédait un extraordinaire appétit éditorial et littéraire, privilégiant les auteurs engagés dans des voies d'écriture exigentes et expérimentales. 
Dans son catalogue, on trouve notamment Martin Rueff, Jean Todrani, Henri Maldiney, Michel Butor, Bernard Noël, Patrick Laupin, Mathieu Bénézet, mais aussi les premiers textes de Christine Angot ou encore les traductions de Melville, d'August Stramm ou d'Ernst Toller. Comp'Act, c'était aussi des revues restées dans les mémoires comme La Main de Singe et La Polygraphe
Figure du Printemps de l'édition des années 80, Henri Poncet est resté fidèle à lui-même, dans les périodes de succès comme dans les jours difficiles. Un homme imposant, généreux et révolté.