lundi 31 juillet 2017

les mythologies dans ton plein air (Ker-Xavier Roussel)


(à l'occasion d'une visite à l'exposition du musée de l'abbaye à Saint Claude - Jura, été 2017)

s'enraciner ou coucher sous la lumière
comme si l'éclat jaune dissimulait
tes bras l'embrassade et le ciel assombri
ou ce sont les ombres qui caressent
tes après-midis encerclées de vert
à vif l'écorce jusqu'à tout nous couvrir
d'ombres et de peintures je t'entrevois
toutes tes nudités dans l'air chaud
d'un contre-jour tu fermes les yeux
de toutes les natures fortes à midi




Ker-Xavier Roussel, L'étreinte ou Paysage au couple au pied d'un arbre, 1898.
 

si le ciel perd tout son bleu
dans la mer
le faune qui joue danse une spirale
rouge voit double la nymphe agitée comme deux
un arbre à la brise des chaleurs ce serait ainsi
le tourment de plonger mes yeux
dans tes bleus nus
une rouge danse blanchit
les cieux

si dans le verger
j'invente tes jeux c'est mon fifre
il joue comme deux enfants
sa jupe rouge leurs genoux qui trouvent
le paradis dans des si pour de vrai
ou comme tu soulèves un bras et le plus petit
court tomber son bleu vers
ton jaune à la peau bronzée
et le verger c'est chaque arbre
chaque cerisier en fleurs pour dresser une nappe
à une sainte victoire au loin
ma peinture comme un petit pan de toit
rouge et encore les criquets tambourinent
tu vas rouler au verger
de nos mythologies
toutes les touches de combien de printemps
j'ai compté combien j'ai
tout perdu tombé dans ce panorama
sa lumière sur mon dos
nos enfants agrandissent le monde
comme une histoire
pleine de dieux au jardin j'ai descendu
tout ton long

Ker-Xavier Roussel, Dans le verger, 1928.

c'est au creux de rêves
ambulants et pourtant rien ne bougerait
le corps noyé dans la chaleur les cigales
ou seulement les grillons tout répond
quelle surprise tu
avec les bleus lointains
nages dans quel rose et vert
des étirements de lumière
et les ailes jaunes tout chute
mêmes les vieux mythes
partagent une joie
de rouler comme les arbres
et l'air sous ma phrase
une ligne rouge nous relie

Ker-Xavier Roussel, L'après-midi d'un faune, 1927




samedi 29 juillet 2017

"S'en sortir sans sortir" (G. Luca) avec Benoît Conort

Benoît Conort, Sortir, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017.


Plus de dix ans après Ecrire dans le noir… Est-ce la fin de la chanson célèbre de Leonard Cohen, dance me to the end of love, qui a tiré le poète dehors quand presque tout ce livre, Sortir, s’écrit dedans puis esquisse une sortie dans les parages (pas trop loin ?) avec jardins (« d’hiver » puis « d’hier » mais pas d’aujourd’hui ! et encore moins de demain !) ? A moins que deux vers, l’un de Baudelaire et l’autre d’Apollinaire serrés dans une même page, n’aient entraîné quelques oiseaux (de malheur ?) pour qu’« ils tendent / des phrases dans le ciel des bouts ». Mais c’est le peu qui l’emporte (oui ! des bouts !), du moins une énergie pascalienne règle le dire d’une sortie, non pas prudente mais sans illusion, parce qu’« il fait dehors comme / dedans » ; et tout le livre conduit à ce dépit celanien : « tant de voix dehors / quoique si peu de musique ». La petite musique du livre : il y a « l’ombre et sa nuit » comme une reprise de la condition humaine où consonnent « larmes », « elles s’arment » et « alarmes ». De grands pans du livre pris (englués ?) dans cette prosodie (« la proie d’ombre / elle qui proie / dans l’ombre ploie ») à la Ghérasim Luca. S’agit-il donc de « s’en sortir sans sortir » ?  Mais le livre qui, dans sa première partie, associe nuit et ombre, massacre et disparition d’une « absente »,  s’achève sur « où aller ? ». D’autant que ses « jardins » se seraient contentés de la « nuit animale » ou « du temps » qui « respire dans les herbes » où « le corps parfois pose son poids » – un consonantisme qui pèse tout le « p » muet du corps… Alors, l’étude légèrement modifiée des pieds d’un apôtre d’Albrecht Dürer, datée de 1508, en couverture, ne serait-elle pas l’envoi d’un dire, « ce vers quoi l’on penche » : « celui-ci n’a / de nom pas ». Un livre (de l’évidence) de l'évidement, tout contre la vie, la poésie. 

mardi 18 juillet 2017

Un livre du venir de la jeune fille

Françoise Delorme, A la longue, Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste éd., 2017.



Ce livre fait un poème en quatre temps. Il creuse un problème poétique/politique que je vais suivre à la trace, porté par le poème qui invente de je en je une solitude partagée partageable de solitaires solidaires – pour reprendre à Hugo mais peut-être en ajoutant ce qu’écrit Françoise Delorme : « Pour parler, il faut une langue. Et des dents » ! Alors le poème fait entendre, entre autres, Sibélius et les couleurs ou plutôt, comme disait Braque, l’entre-deux, l’interstice de tout… Comme ces mots qu’on ne connaît pas ou si peu : aphylantesastrance… mais c’est tout le langage, sa grammaire et surtout son allure, qui se met à l’inconnu d’une écriture sur la neige, avec les mains au milieu des paroles, dans l'éphémère de toute parole. C’est un poème matérialiste qui pense sa condition et sa situation jusqu’à l’attention portée à l’infime, à l’invu,  à l'inattendu… Ce milieu des paroles est le début d’un entraînement à la danse ; ça peut être avec un titre de James Sacré mais aussi avec un oiseau – un cabaret par exemple ! Bref, le poème se fait chant en allant jusqu’à nous faire avaler l’oiseau sans recracher les plumes ! Au bord d’un humour ou à deux doigts de l’ironie, tout le livre ne fait qu’œuvrer à la venue des voix – jusqu’à des visions agrandissantes quand le fleuve devient la mer ou quand la peinture devient poème. Bref il faut tout reprendre : et d’abord les infinitifs de dire à écouter en quatrains où tout le discontinu se dénoue en continu : ce serait modeler avec des mains d’argile. Et l’on sent jusqu’au moindre tournant du poème l’inflexion d’une main qui a longtemps cherché cette naissance à la longue : devenir partie prenante, elle attend que naisse le texte. Ou plutôt la jeune fille dit : « vous existez aussi et c’est depuis toujours… », depuis l’art pariétal comme le bruit du temps ou l’épaisseur du noir. Toute l’écriture de Françoise Delorme emporte cette hétérogénéité temporelle, discursive, de matières-vies-voix dans l’ouvert des arbres sans aucun mot d’appartenance autre que venir : elle vient la jeune fille comme le poème. À la longue. Tout le livre est ce venir, cette naissance, cette jeune fille, cette poussée vocale, cette relation. 

On peut commander ici : http://www.laboutiquedetarabuste.com/fr/collections/doute-b-a-t/autres/delorme-francoise-a-la-longue/201