Non, dis-je
pour Jean-Quentin Châtelain
l’âge de mon père dis-je à ma femme
mais écrivais-je le fils serait le père
de son fils et donc pensais-je Dieu
mais il a commencé exténué la tête
dans les mains toutes les paroles
non, pas un monologue : un dos
l’image du père comme exacerbation
des vertus inculquées écrivait-il c’est
Auschwitz et les circonstances fis-je
éternelles il a continué à s’époumoner
avec les deux mains dans son couvre-
chef tremblant de solitude criais-je
non, pas du théâtre : ouvert ici
épuisé oubliant de s’asseoir sans
chaise s’asseoir en marchant effondré
criait-il l’ordre du monde avait changé
et le même continue la voix huilée
hurlait-il tremblais-je en te prenant
très fort la main la même tirant ses
cheveux si fort sans rien demander
non, pas une prière : une démarche
l’indélicatesse des philosophes
précisait-il la tête penchée contre
le dialogue envahit comme Dieu
un enfant je suis jouait-il avec l’air
dans les nuages pour creuser plein
de bouches traduisait-il de tombes
donc faisait-il ce silence à haute voix
tous les spectateurs ruminant fort
pour ne pas entendre l’explication
non, pas un raclement : une gorge
dans l’anus du monde l’enfant religieux
et sa petite musique grinçais-je
le témoignage refusait-il le bourreau
récurait l’évier de l’histoire qui
continue morte pour mieux vivre
dis-je en lisant ses deux mains
il défait les lacets chaussettes et
retourne voyais-tu le cauchemar
inexplicable qu’on fasse l’amour
non, pas un après : une force
c’est l’instituteur qui a fait ça
expliquez-moi si vous pouvez
ce que peut un corps avec tous
ces nuages qui suggérait-il
creusent nos certitudes de silence
tu me l’as dit aussitôt je tremble
encore mon amour véritable
comme un enfant sans père
il précise pas du tout comme une
notion abstraite ou alors le rire
non, pas un manque : un corps
indestructible ce corps de face
de dos au mur répétait-il sans fin
tout contre le nihilisme souriait-il
ton destin unique dans mon refus
ni de propriétaire ni de propriété
réécrivais-je dans la nuit il revient
pour saluer sans la moindre erreur
non dis-je tu n’es pas au passé
non, pas un souvenir : un venir
c’est bête mais je mens fuis souvent
criais-je dans ta voix je te suis ma voix
et j’ai l’âge de notre amour dis-tu
non, pas un revenant : un allant
(texte écrit fin 2005 avec Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas de Imre Kertész mis en en scène par Joël Jouanneau et interprété par Jean-Quentin Châtelain au « théâtre ouvert », Paris-18e)
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