Marlena Braester, Presque v’île, poèmes, éditions Caractères, collection « francophonie », 2009, 96 p., 15 €.
Si le sous-titre générique porte le pluriel, il ne fait pas pour autant de ce livre un recueil au sens où seraient rassemblés des poèmes disparates que le ton de l’auteur, celui des rêveries ou plus précisément comme l’indique l’incipit du « miel noir du rêve », viendrait unifier ou même qu’une thématique tiendrait ensemble : ici les rêves urbains ou ce que j’appellerais l’urbain des rêves, cette échappée de la ville en v’ïle… Certes, le livre trouve sa voix et la voix est bien celle d’une déambulation dans les nuits du poème, mais ce dernier livre de Marlena Braester trouve le continu d’un vertige qui ne cesse de se démultiplier, de résonner à la fois dans les deux registres qui organisent le livre, celui des lignes pleines de proses et celui des proses pleines de rythmes. Car dans ce livre, rien ne se fixe puisque la visée qui est et fait la trouvaille c’est « l’indépassable inaccompli ». On sait que Marlena Braester vit à Haïfa et l’on peut écouter de nombreux échos à ce que cette ville qui plonge dans la mer en retardant dans chacune de ses rues ce vertige des descentes. Mais ces échos résonnent d’autres villes, de lointains et d’altérités, de rêves et d’expériences qui surgissent sans cesse dans ces descentes parce que « cette nuit en face » fait venir les vagues, les villes parce que « tous les cercles fermés bougent ». Ce livre de poèmes trouve le poème de ce mouvement incessant qui glisse « vers la mer promise ». On pourrait si cela n’était pas quelque peu pris dans des effets de mode parler de déterritorialisation au sens de Gilles Deleuze mais on raterait ce qui fait la voix de ce poème dans son incessant déplacement d’une douleur et d’une jouissance, d’un cri et d’un silence pour écouter ce qui ne cesse de pencher dans une traversée fulgurante et lente, sombre et éblouissante… D’aucuns liraient avec ce livre un surréalisme actif quand il s’agirait plutôt de l’écoute d’une temporalité et d’une spatialité à la fois multiples et par leur hypersubjectivation même inouïes c’est-à-dire plus que réelles, toujours en commencements comme le vertige est le possible de la chute, le glissement saisissant avant que d’atteindre ce qui n’est plus le mouvement, le rythme, ce sujet impossible mais que seul le poème fait vivre. J’ai parlé de sujet impossible : quel est-il ? Il est justement ce vertige et donc inassignable à une seule individuation et encore moins à une assignation qui l’objectiverait. Ville, rue, je, temps, blanc, etc. : « ce n’est pas moi / mais un rythme ». Le livre s’écrit et se lit dans un dessaisissement : « tu te laisses porter par ces pentes en toi ». Le sujet est alors ce néologisme qui n’a rien d’un jeu de mots puisque c’est une expérience que ce poème continué du vertige trouve comme à son acmé : « villisible » où toutes les catégories se défont pour ne plus laisser faire que le glissement d’un av’îlissement – ce travail d’un continent qui tient les îles sous la mer, les îles comme des « chambres à l’âme maritime » que sont ces poèmes du continu du rêve d’un « nu-temps » de l’écriture égarée. C’st toute la force de ce livre : son échappée non dans un après-dire mais dans un avant-dire un peu comme le rêve tient sa force non de son interprétation mais de son irruption qui ne cesse de continuer. Marlena Braester avec ce livre a trouvé le don du poème : une lucarne sur la/le villisible… Oui, tout au long de ce livre, je n’ai cessé de lire la marée montante du poème-Reverdy et l’invention de l’amour du poème-Luca. Mais il faut une puissance d’effacement rare pour qu’aujourd’hui puisse s’entendre autre chose qu’une répétition : un rythme plein de rythmes, de sujets, de villes, de mondes, d’îles « dans le miel noir du rêve ».
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