lundi 6 avril 2009

Nulle part Terre promise


Pendant que les « grands » passent les frontières sur des tapis rouges, s’embrassent comme des frères du même clan, de la même tribu avec l’aplomb qui sied à ceux qui maîtrisent la vie et la mort, le sourire et le mensonge…pendant que les TV et autres médias les couvrent de leurs images en toc, de leurs reportages au plus près des symboles qui sonnent monnaie et qui touchent les sens amollis… pendant que les grands et ceux qui les grandissent occupent les ondes en violant la vue et l’écoute de millions d’humains, un cinéaste montre dans de rares salles un travail qui a demandé à la fois le refus et le pas de côté, l’oubli et la mémoire du présent. Emmanuel Finkiel avec Nulle part, terre promise, invente une autre Europe, un autre regard, une écoute au plus près des vies. Il y a du Cendrars dans cette caméra qui suit les mouvements précis de trois errances multipliant des rencontres fulgurantes ou des lenteurs d’approche et alors n’importe quelle image, cadrage, coup d’œil, traversée de vitre, pluie, ombre, lune ou encore lumières clignotantes dans l’objectif d’une caméra, d’une fenêtre, d’un regard, nous rend à la vie, la vie de milliers d’êtres toujours singuliers non seulement par la solitude mais aussi par la relation qu’alors une telle image engage. Nous ne sommes pas seulement témoins, nous sommes interlocuteurs : nous devenons progressivement la main qui accompagne ce père et son enfant du Kurdistan à Calais, l’objectif qui fait voir à l’étudiante énamourée les pauvres des rues de Budapest, les lunettes du jeune cadre responsable de délocaliser les machines de France en Hongrie. Et nous devenons une écoute de toutes ces langues qui s’emmêlent jusqu’à faire entendre Charlie Chaplin chanter l’arc-en-ciel que l’on ne voit qu’en levant les yeux. Oui, avec Finkiel, j’ai vraiment l’impression de lever les yeux par-dessus le mur de la TV, de la réalité qu’on nous met au rose, au gris, c’est selon les besoins des assignations du jour. Oui, avec Finkiel, du détail à l’ensemble, chaque vue est un point de vue qui se dispense d'une morale mais qui invente un regard chaque fois, presque chaque seconde, un regard attentif, une attention à ce qu’on voit pour que ce qu’on voit nous grandisse et ne passe pas sans que du sujet n'advienne. Et la terre promise c’est tout ce qui met le regard dans la relation : un immense film où l'amour aujourd’hui dans des formes de vie multiples et le/la politique aujourd’hui dans des formes de vie également multiples, font l’interaction la plus forte, le poème du regard qui n’est ni compassionnel ni donneur de leçons… mais simplement vif, vivant, presque jubilatoire jusqu’aux larmes, jusqu’au regard éperdu d’un enfant kurde devant le ferry quand son avenir est d’abord son présent, au présent de ce regard, de ce plan qui lui fait toute sa place, toute notre attention. Ce regard, qui est aussi une distance proche, une proximité tenue dans la retenue, n’est-il pas le nôtre ? Finkiel nous l’a offert pour que nous en répondions chaque fois que nous (nous) regardons. 

Nulle part terre promise (France, 2008). Durée : 1h35. Réalisation et scénario : Emmanuel Finkiel. Montage : Anne Wiel et Saskia Berthod. Image : Hans Meier et Nicolas Guicheteau. Etalonnage numérique : Isabelle Laclau. Mixage : Emmanuel Croset. Costumes et décors : Virginie Noël. Productrices : Laetitia Gonzales et Yaël Fogiel. Interprétation : Elsa Amiel (l’étudiante), Nicolas Wanczycki (le cadre), Haci Aslan (le père), Haci Yusuf Aslan (l’enfant).

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