L’essai d’Inês Oseki-Dépré[1] en vue de comparer quelques traductions du Qohélet, pose quelques questions intéressantes qui situent les problèmes actuels de la traductologie. Ce texte plein d’allusions et de positions à l’emporte-pièce permet de discerner les partis pris d’une certaine traductologie. Les « remarques préliminaires » prétextent une hétérogénéité des textes bibliques rapidement confirmée par « les spécialistes » (153) pour conclure à l’impossibilité d’un « traducteur unique » à moins d’être un Proust ou un Joyce (ibid.) : ce qui disqualifie facilement n’importe qui et permet de se passer de lecture… L’argument avancé (la « haute teneur dialogique », ibid.) n’est pas sans sous-entendre un certain refus du dialogue d’un éventuel « traducteur unique »… Il est vrai que la visée de l’essai de traductologie » en question n’est pas à proprement parler la comparaison de « retraductions » (155) mais avant tout « l’horizon d’attente théorique et pratique qui sous-tend chacune des traductions » (ibid.). Mais un tel « horizon » est immédiatement défini par un point de vue qu’on nous impose subrepticement en note de bas de page : « Traduction Jacques Roubaud (avec Marie Borel et Jean L’Hour[2]), que nous choisissons comme référence sauf cas contraire et que nous désignons comme traduction JR pour simplifier » (156, note 277) ! « Horizon » réduit de deux points de vue puisque cette traduction devient la référence et que Jacques Roubaud devient le traducteur quand les éditions Bayard indiquent trois traducteurs pour le moins et que par la suite les deux autres disparaissent dans l’essai d’Oseki-Dupré (par exemple : « la traduction de Jacques Roubaud qui est à la fois fluide et poétiquement condensée », 170). Aussi, j’aperçois plus « l’horizon d’attente » de la traductologue : faire passer telle traduction, celle de Henri Meschonnic, pour la résultante d’une position que sa conclusion sous-entend très fortement. Je cite sa conclusion : « Nous avons ainsi pu témoigner des subtils changements qui s’opèrent dans le Qohélet, qui devient, de texte autoritaire, hébraïsant, oraculaire et prophétique, progressivement un texte poétique à la mesure de l’homme contemporain » (173) quand Roubaud en fait un texte dont le « sujet de l’énonciation » deviendrait « aussi mortel et éphémère que ceux qui l’entendent », « un parmi tous, non plus Celui-qui-sait » (ibid.), c’est-à-dire, en termes précis, du français courant… qui n’a plus rien à voir avec l’hébreu biblique à moins de prendre des vessies pour des lanternes. Ce qui est fort de café quand on prétend par ailleurs lire un texte « sacré » ou « religieux ».
On comprend alors que cet « essai », au demeurant bien mince et peu argumenté, n’a la « teneur » d’un essai que par son réalisme puisqu’il y a « un système subliminal (sic !) de correspondances, échos et parallélismes » dans le texte de Roubaud, alors c’est bien la Bible selon l’hypothèse de 1753 qui substitue cette rhétorique à une métrique introuvable. Aussi s’agit-il d’un texte polémique confondant de simplismes et de partis pris…
J'invite donc le lecteur d'un tel livre à lire pour le plaisir de comparer les traductions de la Bible par Henri Meschonnic ainsi que son dernier essai sur le traduire.
[1] I. Oseki-Dépré, « Retraduction de la Bible : le Qohélet » dans De Walter Benjamin à nos jours… (Essais de traductologie), Honoré Champion, 2007, p. 151-175. Ce texte est paru auparavant dans Cadernos de Traduçao, NUT, Universidad Federal de Santa Catarina (Brésil), n° 11 – 2003/1, p. 95 et suivantes. Ce qui explique la présence de la traduction en portugais (du Brésil) faite par Haraldo de Campos publiée en 1990 à Sao Paulo.
[2] Ce « bibliste » est secrétaire de l’ACFEB (Association Catholique Française pour l’Étude de la Bible) de la région Sud-Ouest. Il a publié un seul ouvrage : La Morale de l’Alliance, Cerf, 1966. Où sont les grands spécialistes de Bayard : faites un peu de recherche et vous serez surpris par le vernis scientifique de cette entreprise (commerciale plus que traductologique) qui s’écaille bien vite…
6 commentaires:
Il y a de nombreuses années (on n'est pas sérieux quand on est étudiant...), j'avais offert la traduction de Meschonnic (Les cinq rouleaux) a une très grande lectrice de mes proches. Après avoir parcouru quelques pages, elle a été prise d'un fou rire ! "Qu'est-ce que c'est ?" m'a-t-elle demandé. J'en ai été confondu. "On ne comprend rien !" Parfois... on dirait Bernard Tapi ou Francis Bouygues : "J'ai bâti pour moi des bâtiments..." (II, 4) En vérifiant la référence, je me suis aperçu (peut-être ne connaissez-vous aucune langue sémitique) que tout le chapitre était ponctué de "pour moi" (et autres variantes : "à moi", ...). Cela ne vous semble pas curieux tous ces "à moi, pour moi..." ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Un avis sur la question ? Pour ma part, j'ai quelques doutes, un soupçon de décalque de l'hébreu, une sorte de mimétisme d'une construction du type préposition + pronom assez maladroite en français, non ? Que diriez-vous à vos étudiants s'ils écrivaient : Samîr a acheté une voiture à lui ? Ce type de constructions (être à inversé, comme l'écrit Benveniste), se retrouve en arabe, par exemple, avec la préposition ل (à, pour) + pronom affixe = لي = à moi, pour moi : لي سيارة = à moi une voiture = j'ai une voiture. Vous saisissez ?
Avec un minimum de "sens de la langue" (française à tout le moins) et un zeste de "sens critique" (je sais bien c'est difficile, après tant d'années à singer le maître, d'abandonner un moment l'enflure lexicale et la suffisance "meschonniciennes" que l'on retrouve chez tous les disciples de votre acabit) et comparez ces deux traductions (je reprends le passage cité plus haut, juste pour l'exemple et sans trop me casser la tête à relire une traduction que j'ai livrée à l'oubli depuis un bon moment) :
Traduction 1
J'ai vu grand,je me suis bâti des demeures, je me suis planté des vignes,je me suis fait des jardins et des vergers, j'y ai planté toutes sortes d'arbres fruitiers, je me suis fait des pièces d'eau pour les irriguer.
Traduction 2 (sans les blancs)
J'ai fait grand ce que j'ai fait J'ai bâti pour moi des bâtiments j'ai planté pour moi des vignes J'ai fait pour moi des jardins et des vergers Et j'y ai planté tout arbre à fruits [sic] J'ai fait pour moi des citernes d'eau [pléonasme, historiquement] Pour en irriguer une forêt [sic] croissante en arbres [pléonasme : une forêt n'est-ce pas déjà des arbres... En quoi d'autre pourrait-elle être croissante ?]
Connaissez-vous l'auteur de la première traduction ? C'est le même à qui vous empruntez, sans le savoir (je me trompe ?) le "buée des buées" de votre pôpôème...
Qohélet n'est pas le Sage des Cinq Rouleaux mais d'un livre... ah ! Mille excuses ! C'était de la poésie, une licence, non ? C'est de l'humour... blanc de la blancheur ! Candide quoi !
Monsieur le professeur Christophe Gallaire. Je ne suis pas un ancien élève d'Henri Meschonnic comme vous et je vois bien que vous avez des comptes à régler car votre commentaire ne concerne absolument pas le livre auquel je faisais référence mais fait la somme des ressentiments qui vous animent... Quoiqu'il en soit, vous répétez ce qu'on voit tous les jours - disons toutes les éditions - avec la Bible: le français courant pour convertir. Vos remarques de "spécialistes" font rire car elles sont celles de tout professeur de français qui rappelle ses élèves à la correction pour leur imposer un français scolaire transparent qui annihile tout discours y compris le discours d'autorité en réduisant toutefois sa pratique à l'autoritarisme et en renvoyant la littérature et tout ce qui relève d'une subjectivation dans et par le langage à l'écart, l'anormal, le sauvage et pourquoi pas, monsieur le professeur, à l'incompréhensible. Je laisse de côté vos arguments qui font plus preuve de surdité que d'attention. Oui, le décalque de l'hébreu est à la fois une écoute de l'hébreu comme on ne veut pas depuis des siècles l'entendre et une invention dans le français qui le met à hauteur de poème: Verlaine ne s'est-il pas fait traiter de métèque par un "savant" de l'époque! Je ne veux pas répondre à chaque injonction quand vous voulez croire la traduction de Meschonnic dans votre oubli: l'oubli me semble assez actif dans votre cas mais je ne suis pas psychanalyste. Je suis enseignant et je trouve lamentables les "versions" données à nos élèves par exemple en 6e. Vous n'en dites rien...
Serge Martin
Mon cher monsieur Martin,
Vous n'êtes pas psychanalyste mais je vous trouve bien ouvert aux secrets de cette science.
Quelle drôle de manière (oh ! oui ! C'est du dessonisme) de ne pas répondre. En gros, vous m'envoyez consulter. Merci pour la prescription Docteur Ritman. Ah non ! Celui-là est du style poo-ète !
C'est très certainement d'ailleurs parce que vous comptez parmi les savants de l'Institut que vous vous autorisez quelque diagnostic façon Femme actuelle ou Elle.
Terrible destinée que celle de la psychanalyse. Tout le monde s'en reconnaît.
Toutefois, je vous suis infiniment reconnaissant de vous préoccuper de ma santé. Non non sans rire, très généreux.
Comme quoi, il n'y a pas si loin de la critique du rythme au diagnostic.
Et, dans cette veine, je me dois de le reconnaître, vous avez du sang, de la superbe, cher Monsieur Martin. Quel panache !
Je me souviens vous avoir rencontré quand vous fricotiez au Collège International de Philosophie. Et très certainement à d'autres occasions. Et, je me demande aujourd'hui, comment j'ai pu passé à côté d'autant de talent ! La barde peut-être. Une figure paternelle ? Allez docteur Martin, éclairez ma lanterne !
Dites-moi, quels comptes aurais-je à régler avec Meschonnic ?
Je vous cite :
J'invite donc le lecteur d'un tel livre à lire pour le plaisir de comparer les traductions de la Bible par Henri Meschonnic.
Ah ! Vous ne parliez pas de la traduction de votre maître à penser dans votre billet ? Bon. Je vous ai mélu. Diable ! Un peu d'indulgence. Merci.
Vous savez, monsieur Martin, vous êtes en passe de gagner votre premier point Godwin. Et avec quelle rapidité ! Époustouflant ! Si si. Bravo !
Verlaine ne s'est-il pas fait traiter de métèque par un "savant" de l'époque !
Vous avez débusqué le xénophobe qui sommeille en moi... Très fort ! On entend toute la Reductio ad Hitlerum. Beau tour rhétorique. Vous aviez, encore une fois, le nez dans votre coutumier.
Oui, le décalque de l'hébreu est à la fois une écoute de l'hébreu comme on ne veut pas depuis des siècles l'entendre et une invention dans le français qui le met à hauteur de poème
Est-ce la torah ou l'hébreu le poème ? Le sujet, non ?
Tiens donc ! Je ne vous savais pas lecteur de l'hébreu. Vous connaissez donc l'hébreu ! Est-ce la raison pour laquelle vous traitez de si haut mes remarques de "spécialistes" ?
Vous entendez, vous, l'hébreu dans la traduction de votre maître ? Vous me faites marcher. C'est de la seconde main ? Dites-moi. Encore une formule du maître, non ?
Vous semblez souffrir de quelques difficultés de lecture, cher monsieur Martin. La rythmo-thérapie que vous suivez de longue date montre quelques faiblesses : je n'ai pas écrit "élève" mais "disciple"... Celui qui adhère à la doctrine. Les deux remarques précédentes n'en sont-ils pas de beaux exemples ?
Lisez-vous les dictionnaires, mon cher Monsieur Martin ? Ah ! Je sais. Dans la médecine de Meschonnic le dictionnaire, c'est pas beau, c'est le signe du dualisme, la langue c'est vilain. Mais de temps en temps, il est bon d'en prendre quelque dose.
Quoiqu'il en soit, vous répétez ce qu'on voit tous les jours - disons toutes les éditions - avec la Bible
J'hésite ici... Sans blague ! Vous avez tout lu de ce qui s'est fait sur la question, "toutes les éditions" ? J'en reste pantois. Encore un de vos tours, n'est-ce pas ? Est-ce aussi le maître qui vous l'inspire ?
J'avoue ne pas bien comprendre cette phrase :
Le français courant pour convertir.
De quoi parlez-vous ? La seule traduction que j'ai citée est celle de Grosjean. Sans rire, expliquez-moi ! Une référence ? Chez Meschonnic, peut-être ? Non ? Je me trompe ? Parce que, somme toute, vos références sont toutes là. Ce qu'il dit ou écrit est parole d'évangile. Oh ! le vilain jeu de mots ! Vous n'avez,je le crains, jamais ouvert Les versets de la sagesse. Ni même aucune traduction de Grosjean. Avez-vous remarqué combien Meschonnic s'est montré discret sur le travail de Grosjean ? Curieux, non ? Quand on sait combien Grosjean a traduit depuis l'hébreu, l'arabe, l'anglais, le grec...
Vous êtes bien péremptoire. Bien trop content de vous-même et de votre maître (l'inverse plutôt) mais pour autant, il me faut vous l'avouer, je suis admiratif de votre maîtrise impeccable du lexique meschonnicien :
qui annihile tout discours y compris le discours d'autorité en réduisant toutefois sa pratique à l'autoritarisme et en renvoyant la littérature et tout ce qui relève d'une subjectivation dans et par le langage à l'écart, l'anormal, le sauvage.
Qui a parlé de sauvage, d'anormal, d'écart ? Une seule et petite remarque sur la traduction de votre maître et c'est tout la littérature qui se voit réduite et renvoyée... Allons ! Allons ! Gardez un peu le sens de la mesure. Soignez votre rythme. Cette sorte de boursouflure égotique, on pourrait dire un renflement du sujet, déforme quelque peu votre vision : Meschonnic n'est pas toute la littérature.
Mais, quand même, je dis encore une fois : Bravo ! Oui oui. Discours, autorité Vs autoritarisme, renvoyer, pratique, subjectivation, dans et par le langage, écart... Impeccable. C'est d'un brillant mimétisme.
Pour ce qui est des traductions utilisées dans les classes de sixième, voilà bien un point sur lequel nous sommes d'accord. Fort heureusement, les enseignants ont encore (un peu de) leur liberté pédagogique. Et pour ma part, je n'ai jamais utilisé aucun manuel. Je ne peux donc pas vous en dire grand chose. Mais vous savez, non sans mal, quelle traduction j'ai pu proposer à ce niveau. Très sérieusement, dites voir ce que vous en pensez...
En flânant sur votre blog, on comprend mieux pourquoi vous ne répondez pas aux questions ou commentaires : il n'y en a pas ! Vous avez l'habitude de parler tout seul. C'est triste. Article après article, jamais un mot de quelque visiteur. Ou presque.
Quand il y a un, c'est un prêté pour un rendu. Un remerciement à charge de revanche.
Tiens je vais faire mon Serge Martin (elle est pas lexicalisée celle-là, pas encore) : la seule réponse à votre mégalomanie - quelle belle page sur Wikipedia pour un illustre inconnu ! c'est touchant cette peur de l'oubli ! Est-ce votre seule réponse au vide ?
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