L’ACTIVITÉ DU POINT DE VUE DE LA THÉORIE DU LANGAGE
La notion d’activité pour être conceptualisée passe forcément par le langage. De plus, on ne peut pas dire qu’il y ait activité sans discours, c’est-à-dire sans subjectivation dans et par le langage. Sinon l’activité n’a pas de sujet et au mieux produirait-elle un agent, une agentivité si ce n’est un objet. Il y aurait à observer si certains discours ne désubjectivisent pas quand ils parlent, par exemple, de « producteur » dans l’expression « production d’écrit ». Bien des notions en didactique manquent de théorie du langage et quand elles font retour sur le sujet ne se rendent pas compte qu’il y aurait à tout reconsidérer. Ce qu’elles font rarement et, par conséquent, elles se voient en chemin rebrousser et abandonner leur sujet en route, sans y prendre garde. Ce serait fréquemment le cas avec la notion d’activité qui demande pour le moins de penser ce qui s’y fait ou pas : et s’il n’y a invention d’un sujet alors pourquoi parler encore d’activité…
Il y a donc à poser d’abord qu’on ne peut concevoir d’activité sans sujet et que pour qu’il y ait sujet de l’activité, il faut penser ce sujet dans et par le langage parce que c’est alors seulement que les catégories du temps et de l’espace de l’activité qui permettent de situer et donc d’engager un sujet acteur, peuvent se constituer. La deixis de l’activité est le cadre de l’activité, mais elle n’advient qu’en discours et fonde la situation du sujet qui est le seul à pouvoir l’engager vraiment comme activité.
À la deixis vient comme se joindre une sémantique sérielle qui construit les valeurs propres à telle ou telle activité, tel ou tel moment de l’activité, bref toutes les différenciations qui construisent à proprement parler ce qui fait la spécificité de l’activité :
- délimitation : activité/non-activité ;
- catégorisation : qualifiants de l’activité par différenciation même infinitésimales ;
- et enfin rythme et prosodie : différences et répétitions qui construisent l’energeia d’une mise en œuvre, d’une œuvre à proprement parler où l’opération est non seulement subjective mais transubjective ; l’activité devient passage d’activité parce que passage de sujet (invention et transmission, transformation et relation).
Se pose immédiatement le problème de l’antinomie individu / société ou collectif auquel renvoie, par exemple, la notion de « communauté discursive » très fréquemment employée par la didactique d’inspiration bakhtinienne. Il me semble que cette notion oblige à réitérer l’antinomie sans la lever autrement que par un déterminisme qui alors maintient l’antinomie dans son aporie puisque la subjectivation se voit alors renvoyée à un causalisme qu’on peut appeler un collectivisme. Ce dernier oblige à penser l’activité commune hors de toute pluralité et différenciation des processus de construction du commun. Disons-le franchement, cette didactique dévoie l’activité dans un comportementalisme où la subjectivité est un assujettissement à des forces qui refusent toute subjectivation libre.
Très concrètement, cela peut s’observer dans la rhétorisation des manières de dire, qui règle les manières de faire sans que ces dernières ne puissent déplacer les manières de dire ou sans que l’expérience n’oblige à dire différentiellement ce qu’on a fait autrement et l’inverse. Bref, le sujet est fixé avant l’activité et doit s’y conformer : la subjectivation est donc soit préexistante soit subséquente puisqu’on présuppose une conformation et non une construction afférente de l’activité et du sujet.
Mais on ne peut se contenter pour autant de renvoyer cette subjectivation dans et par le langage à ce qu’on appelle généralement une verbalisation de l’activité qui pose une représentation du langage comme traduction ou expression de l’activité et donc comme résultat d’une activité qui lui préexisterait. Des formes plus subtiles existent qui mettent la subjectivation dans la dichotomie du linguistique et du métalinguistique en s’appuyant sur le concept psychologique de distanciation. Cette représentation présuppose un double langage : celui de l’accompagnement de l’activité et celui de la réflexivité ou, en des termes utilisés par exemple dans les programmes scolaires, entre langage d’action et langage d’évocation. Cette représentation met la pensée hors de l’activité dans un après quand l’activité de la pensée, d’une part, et la pensée de l’activité, d’autre part, sont justement consubstantielles sous peine d’obtenir des pensées coupées de l’activité (c’est le topos de « la théorie » opposée au « terrain »), ou encore une activité qui se réaliserait sans pensée active et donc une activité sans sujet, sans subjectivation. Que des paliers de la réflexivité puissent se concevoir, c’est à n’n pas douter, mais il y aurait plus à dissocier deux types de réflexivité en pensant leur continu :
- une réflexivité constitutive de l’action, qui engage un véritable sujet de l’action comme sujet de la pensée de l’action au plus près de l’energeia assurant le continu du geste et du langage ou du langage comme geste et du geste comme langage et par là-même de la pensée et de l’action ;
- et une « réflexivité » (peut-on encore l’appeler ainsi ?) qui, pour des raisons scolaires et/ou sociales, doit à un moment ou un autre se conformer à des normes d’action ou des normes de pensée de l’action voire même de formulations académiques de l’action.
On comprend bien alors que cette dernière catégorie n’est pas celle qui doit orienter la réflexion didactique sur l’activité. C’est au contraire la première qui doit porter la seconde sous peine de ne jamais comprendre ce que fait une activité à un sujet et ce qu’un sujet fait à une activité ; à moins de considérer le sujet non à l’aune de la subjectivation mais de la normalisation, d’un comportementalisme qui viendrait défaire ce que la didactique vise : un sujet critique de son activité, un sujet, par et dans son activité, pleinement sujet.
L’enjeu de cette réflexion sur la notion d’activité est sa conceptualisation en didactique. Pour conclure, nous pouvons donc dire qu’elle oscille entre le faire et l’agir non comme choix entre deux pôles mais comme orientation vers l’un ou l’autre : c’est la pensée du dire qui permettrait d’orienter l’activité de l’agir vers le faire, de la reprise vers l’invention, de la communication vers la relation, de la transmission vers l’incorporation. Ce qui manque aujourd’hui à la didactique concernant l’activité, c’est une poétique des discours (et du discours comme mode de subjectivation dans et par le langage) avec l’activité, car seule une poétique permet d’écouter au plus près ce qui se fait quand l’activité devient par le dire, se constitue comme subjectivation ou au contraire disparaît comme une absence de faire pour finir au mieux dans un agir. On peut d’ailleurs suggérer que « rien faire » n’est pas une absence de faire et qu’il vaut mieux ne rien faire qu’agir pour agir – ce serait ce qu’on appelle l’activisme dont on sait que l’école s’est fait une spécialité pour occuper l’enfant qui n’est alors plus un élève et passer le temps de l’apprentissage à formater des sujets sans sujet(s), des agents qui agencent, des enfants bons enfants et des élèves bons élèves… ou mauvais !
BIBLIOGRAPHIE
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