James Sacré, Parler avec le poème, Genève, La Baconnière, coll. "Langages", 2013.
James Sacré, c’est la théorie de la pratique et la pratique
de la théorie malgré qu’il en ait des propositions trop affirmatives mais celle
qui ici commence n’est-elle pas plus de l’ordre d’une éthique interrogative que
d’une attribution définitive. C’est qu’il faut se mettre alors à lire tout
James Sacré pour trouver et la théorie de la pratique et la pratique de la
théorie : non qu’il faille lire des essais et des poèmes ou des entretiens
et des livres pour trouver une théorie et une pratique mais tout simplement
parce qu’il faut écouter la théorie dans la parole du poème ou de l’entretien
et la pratique dans le poème ou l’entretien comme expériences continues de
pensée de ce qu’une telle parole fait au moment même où son poème s’écrit, se
lit, se dit… Aussi, il me semble que James Sacré défait toute prétention
métapoétique, la sienne aussi bien que celle de ses lecteurs même patentés, qui
viserait une quelconque maîtrise du poème – je pense que c’est de ce côté qu’on
peut le dissocier de Ponge ou de l’effet « Ponge » –, autant qu’il se
défie de toute spontanéité athéorique qui déconsidérerait le poème alors que ce
dernier ouvre à une transsubjectivation réflexive au cœur de « l’humaine
condition » (Montaigne) parce que s’apparaissant à elle-même, cette relation
de sujet à sujet, dans et par le poème comme activité théorique et pratique
d’un même geste, d’une relation justement dans et par le langage à
contre-communication et à contre-essentialisation de la poésie, de l’autre, du
moi, de l’homme, de la terre, de l’être – en cela il est certainement plus
contemporain d’un Sponde que d’un…
Un tel geste n’est pas réductible à quelque(s) procédé(s)
que ce soi(en)t car il est justement l’écoute d’une pluralité à l’œuvre dès que
langage et relation : « parler avec le poème », c’est à chaque
poème ouvrir la parole et la relation à tous leurs gestes emmêlés où l’enfance,
l’ici et l’ailleurs, les corps, les animaux, un arbre, un toit, une parole à
peine perceptible prise au vol, l’âge, un vêtement, une lecture qui revient, un
ami si cher, la compagne, un renard, le poème s’échangent leurs obscurités et
leurs lumières dans des mouvements de parole qui font signe de vie, rencontre,
écriture, lecture où tout, c’est-à-dire chaque individu s’individuant,
bouge : mouvement de la parole dans l’écriture, de cette parole à chaque
fois geste en relation au deux sens du terme puisque s’y associe intimement une
vie racontée et une relation nouée.
Les écrivains écrivent dans la solitude mais les rencontres
sont au fond assez nombreuses où on leur demande de nous en dire plus comme si
le poème devait s’accompagner d’explications, d’attestations, de biographèmes –
comme proposait Barthes - qui
viendraient confirmer, infirmer le poème… Bref, les écrivains doivent faire
leur com. ! Aucun n’y échappe avec nos réseaux sociaux et ce serait
depuis toujours. Là encore, cette solitude qui trouve ses échos relationnels
peut se continuer ou se perdre, c’est selon ! Aussi quand James Sacré
regroupe les entretiens qu’il a réalisés sur une trentaine d’années
(1979-2009), il ne les dispose pas les uns après les autres comme dans un plan
de com., il les emmêle non pour perdre de vue ses interlocuteurs mais pour
mieux les retrouver dans l’aujourd’hui d’une écriture qui n’en finit pas de se
perdre dans la relation, ses histoires et ses liens, ses lieux et ses gestes.
On aurait pu croire alors que cette recomposition des paroles aurait pu
rattraper ce que l’auteur aurait raté lors de chacun des entretiens et ainsi
ramasser une théorie ou unifier une pratique… Il n’en est rien ! En
remixant ces paroles échangées, James Sacré fait monter un nouveau poème, un
livre-poème comme un poème-relation de « l’ancrage » au
« fourniment pour écrire », deux parties autour d’une courte
anthologie de quelques poèmes. Ce poème ne cesse de reprendre son geste dans
une pensée du poème qui ne peut s’arrêter autrement qu’à continuer le geste
lancé. Aussi, je ne peux m’empêcher de constater combien ce gros livre ne se
répète à aucun moment dans ses traversées des pays, des livres, des expériences
et des rencontres par le poème : c’est cette dernière orientation qui
emporte tout dans une aventure qui ne peut en finir autrement qu’à recommencer
par voix et vies avec cette « pierre verte » qu’évoque James Sacré in fine « avec Jean-Christophe
Belleveaux », qui passerait de mains en mains, de bouches en bouches, de
pages en pages, de poèmes en poèmes comme une parole donnée.
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