Les illustrations n'illustrent pas ce qui suit mais viennent soutenir la tentative : on écrit sur un volcan avec la mer et toute la vie...
Il se réveille avec une
phrase qui lui ressemble, à elle.
Il recommence, parce
qu’il a longtemps cherché cette phrase, perdue comme tous les rêves au matin.
Elle n’est pas encore à
portée de voix ; il ne désespère pas de lui demander comme une
ressemblance avec elle.
Il croit souvent la
lire dans une ancienne correspondance ; il sait bien que des lettres
manquent.
Quelqu’un est venu
l’écouter ; il lui a semblé la voir dans ses yeux ou dans une rapide
torsion de sa bouche ; c’était peut-être sa manière de croiser les bras.
Elle lui dit qu’il lit
toujours trop vite, sans le lui reprocher ; elle sait bien qu’il court
après elle.
Elle lui a rappelé sa
lecture de Salambô, surtout sa première phrase.
Elle remarque que les
oiseaux font silence dans la journée ; au moment de la plus grande
chaleur, lui précise-t-elle ; il allait lui parler des rouges-gorges.
Ils ont vu la trilogie
des Coûfontaines dans la mise en scène de Marcel Maréchal ; un peu trop
ambitieuse à son goût, elle sait qu’il va lui rappeler qu’elle tient bien le
lyrisme en bride, la phrase de Claudel.
Il l’entend souvent
sans pouvoir la répéter. Elle sait que c’est le bonheur de l’habitude ;
elle varie alors légèrement l’intonation.
Elle ne lui raconte
jamais ses rêves ; elle prétexte que ce sont des cauchemars. Il les devine
quand la phrase lui échappe.
Elle aime danser ;
pour ne pas lui marcher sur les pieds, il se contente de la soulever. C’est
ainsi que la phrase se met à danser dans sa tête.
Elle avait pourtant bien
commencé par des études de philosophie ; elle n’a jamais pu se résoudre à
entendre seulement une idée derrière sa phrase, même argumentative.
Elle lui reproche
souvent ses néologismes. Elle ne lui avoue pas qu’elle apprécie la saveur
lexicale du parler de ses grands-parents ; il semble bien les nourrir.
Ils sont allés
plusieurs fois à Florence, toujours en hiver. Il n’oublie pas que lors de leur
séjour à Venise, il a neigé. Elle a le goût du méconnaissable.
Il a appris à lui faire
aimer ses répétitions. Elle sait depuis longtemps qu’il n’est pas très
scolaire.
Elle a su lui apprendre
son enfance, sans jamais bien savoir ce qu’était une ritournelle.
Il ne lui dit jamais
son impatience ; c’est pourquoi elle ne lui demande surtout pas de mettre
un point final.
Elle lui propose
souvent d’aller voir ce qu’il ne sait pas qu’il aime trouver. Cela ne s’entend
pas à la première lecture, même s’il la soupçonne de bien l’entendre.
Elle a longtemps
développé son goût pour ces livres que Walter Benjamin collectionnait. La
fantaisie alors mène sa phrase parce que les meilleurs livres pour enfants
valent tous les chefs-d’œuvre de la grande littérature, pense-t-elle.
Ils se font souvent une
toile ; il oublie souvent l’histoire qu’elle tente de préserver dans des
cahiers de cinéma ; une phrase lui suffit pour ses notes dans le noir.
Il y a un livre qu’il a
mis quinze ans à publier. Elle a bien vu que ce n’était plus le même ;
pourtant elle entend tout de suite sa sonorité générale.
Parfois elle ne sait
plus qui est tu ; lui non plus ; alors ils s’emmêlent et la phrase
part pour de bon.
Elle a toujours peur
qu’il se noie dans si peu de mots ; elle veille sur le bord à sa
respiration.
Leur fidélité ne se
connaît qu’a posteriori ; ils n’ont qu’une grammaire d’usage.
Le film de Rosselini
les a toujours fascinés ; la date y est certainement pour quelque chose. En
régime volcanique, il n’y a pas d’énoncé sans énonciation, précise-t-elle en
riant.
Elle lui lit souvent la
lettre d’Ingrid Bergman à Roberto Rossellini avant le tournage de
Stromboli ; elle savait seulement dire ti amo en italien.
Quand ils ont vu les
logogrammes de Christian Dotremont au centre Georges Pompidou, le noir des
phrases leur a rappelé la neige du Valgaudemar. Notre Laponie, a-t-il glissé
dans son oreille avec un baiser.
Ils lisent rarement les
mêmes romans ; quoiqu’il en soit, ils aiment les mêmes sans partager les
mêmes raisons ; au bout du compte, elle connaît sa phrase.
Elle aime voyager à
l’étranger ; ils ont beaucoup de projets dont peu se réalisent ; quelques
voyages suffisent à leur faire croire au monde ; quelques phrases à la
vie.
Un jour elle découvre
qu’il garde les petits mots qu’elle lui écrit ; sa syntaxe lui donne
parfois la couleur d’un dialogue.
Elle lit rarement ses
essais ; ils font tellement sa conversation quotidienne ; mais s’il
reconnaît qu’il est inutile de se répéter, elle ne le découvre que dans ses
reprises.
Ils ne savent pas qui
est leur préféré ; ils ont besoin d’oublier un artiste pour qu’ils sentent
tout à coup la même préférence ; comme une phrase qui invente un nouveau
regard.
Parfois, elle lui serre
discrètement et fortement la main ; il sait immédiatement ce qu’elle veut
dire ; il arrive qu’il se trompe mais la phrase est la même.
S’il abuse des
références littéraires, elle le lui reproche ; quand il trouve une de ses
notes de lecture qu’elle a glissées dans son carnet, il ne peut s’empêcher
d’adjoindre sa teneur à la prochaine phrase.
L’anonymat augmente
dans les pronoms de sa phrase ; elle craint ne plus savoir de qui il
parle.
Il aime l’obscur de sa
phrase ; elle déteste qu’on qualifie la poésie de Paul Celan d’hermétique.
Il en va de la démocratie, précise-t-il.
Tout le monde écrit
peut-être pour se faire lire. Elle cherche toujours son écoute. Il lui répond
que ses essais la cherchent ou les enfants.
Pour lui, le plus
important dans la narration consiste à faire sentir même incidemment le corps
du personnage ; il sait bien que c’est un problème d’énonciation. Ne
serait-ce que sa manière de ponctuer, ajoute-t-elle malicieusement.
C’est ainsi, elle aime
le contester, que le personnage s’empare de la première personne. Quant à lui,
il refuse la réduction du personnage à une troisième personne car, elle le sait
bien, il perdrait le mouvement.
Qu’on parle de
personnage conceptuel ne répond pas du tout à son goût pour la voix. On
n’ajoute pas du corps à un cadavre : elle connaît sa phrase dans son rire.
Dans Stromboli, la
Méditerranée est noire comme le volcan, a-t-elle écrit ; c’est comme
n’importe quelle phrase devenant poème, a-t-il ajouté en marge.
Pour varier les marches
quotidiennes, elle lui fait parfois traverser un musée de peinture ; c’est
comme si elle lui demandait de lire sa dernière phrase à la fenêtre.
Il a bien essayé de lui
montrer une phrase qui avance par élimination. Elle lui a tout de suite dit
qu’il oubliait que les silences l’augmentaient.
Les dialogues les font
beaucoup souffrir ; ils doivent faire entendre la phrase de l’un à
l’autre. Pour elle, le coq-à-l’âne résout souvent le problème.
Elle déteste qu’on résume
un roman en une phrase mais elle acquiesce quand il suggère qu’une seule suffit
pour le faire tenir.
Il se contente de ses
à-peu-près lexicaux ; elle recherche les précisions d’un dictionnaire ;
tous les deux se laissent vite aller aux divagations de la première phrase
venue.
Il lit dans un mot
toute sa vie ; il multiplie ainsi les phrases ; elle goûte cette
vitesse mais craint toujours le pire.
La langue des enfants
qui fourche dans les comptines a été à la source de toute sa pédagogie ;
elle a même essayé de les enregistrer.
Son esprit très lent se
met tout à coup à courir dans la phrase ; elle tente de le freiner sur le
papier.
Elle trouve que c’est
trop métaphorique ; il essaie de lui montrer que les rapports l’emportent
sur les transports ; elle ne digère pas sa phrase.
C’est quand même
dérisoire cette prétention, lui répète-t-elle. Il lui réitère l’argument
imparable que ça tient parfois à un cheveu. Sur la soupe, ajoute-t-elle en éclatant de rire. Il n’a
plus qu’à recommencer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire