Michel Chaillou, Éloge du démodé, Paris, Éditions de la Différence,
« Politique », 2012, 96 p., 12, 20 €.
Michel Chaillou, 1945
(2004), Paris, Éditions de la Différence, « Lire & relire », 2012, 256 p., 16,25 €.
L’allure romanesque de Chaillou vous emporte
toujours par la voix : on relira donc avec bonheur 1945 et au moins son premier paragraphe. Sa dernière
phrase donne le ton du phrasé, son élan et son souffle, de tout le livre qu’on
n’avait plus depuis sa première édition au Seuil en 2004 : « Il y a
déjà trop de recoins d’ombre dans cette bâtisse et comme j’y ajoute les
miens ! » Ce grand livre de l’adolescence ou plutôt d’une adolescence
démodé où aurait hérité « d’une voix fantôme » voire d’un
« double d’air », ce Samuel Canoby qui porte la dédicace et
« qui sera le héros des livres » que Chaillou inventait « pour
fond de préau » à l’intention de ses congénères.
« Tenez, il n’y a pas longtemps, une femme dans un
train, un après-midi ». Ainsi commence Éloge du démodé, ce monologue débordant de dialogisme. « Mais
qui entend le pourparler des choses ? » Chaillou ne cesse d’augmenter
l’écoute (« cette autre manière de voir ») et notre écoute
s’embarque dans et par la sienne au ras d’un phrasé qui sait nous perdre dans
ses parenthèses. Chacune constituant, nous dit Chaillou, une « idylle
permanente que j’entretiens avec les instants ». Il précise à contre
époque : « Je ne coïncide jamais » ! Il nous fait faire
souvent le grand écart. Il résulte pourtant, avec la facilité déconcertante du
racontage de Chaillou, du jeu des multiples pas de côté qui font qu’on n’est
pas « vraiment contemporain » parce qu’hier et avant-hier vous tirent
vers une « obscure contrée » où poussent les « oreilles
d’âme ». Et voilà Chaillou qui confie à nos oreilles qui grandissent
(comme celles de l’âne, « ce cheval démodé » ?) ses lectures
buissonnières de Julien l’Apostat à Thomas Corneille, du sieur de Somaize à
Fronton, précepteur de Marc Aurèle quand le sieur l’était des Précieuses… Et
voilà que le fleuve du roman de la pensée charrie ses galets (ou perles qu’on
enfile pour quel collier démodé ?), formules qui tournent parce que la
pensée avec Chaillou ne s’arrête pas à la phrase mais roule dans un
phrasé : « Le démodé est quelqu’un du soir qui souhaite changer ses
crépuscules en nouvelles aubes ». Alors Chaillou ne cesse d’ouvrir pour
nous, non sans poussière c’est-à-dire fumée et donc quelque feu qui couve, des
livres démodés pour « apprendre à feuilleter l’oubli », si ce
n’est fouiller nos « obscurités ».
Chaillou, contrairement à bien des Cassandres d’aujourd’hui,
ne durcit jamais le ton voire la leçon : son démodé, cet éloge du
« reflux », est la recherche d’une attitude qui continuerait un
sentiment, une humeur pour ne cesser d’aller son allure et « qu’importent
les moqueries ! ». Chaillou, qui a longtemps frayé avec Montaigne et
même son domestique, sait l’heuristique de tout égarement quant au phrasé et
peut-être même quant au quotidien du vivre voire à ses embardées. Et le voilà
citant Voiture, « le Valère des Précieuses » ! et si sur la
ligne Paris-Le Croisic, ce sont deux jouvencelles qui semblent le démoder, il
arbore les « vers rimés en 1577 » de Marc Papillon de
Lasphrise : un esprit d’enfance pour que le français devienne « du
latin démodé » et son radoteur « bilingue de ses jeunes années » !
Et Chaillou de rappeler comment la notion d’« extrême-contemporain »
qu’il avait lancée par antiphrase, plaisanterie et même malignité, dans Po&sie n° 41 en 1987, a été reprise au pied de la lettre,
c’est-à-dire d’un présent sourd à la « confidence chuchotée », au
« pas de danse » du manque de sérieux des Chapelle et Bachaumont
voyageant « en France et autre pays en prose et en vers »… Sans du
tout éviter « le monde du chiffon », le voilà en démodé : vieux
et jeune sans plus aucun modèle !
Ce livre est un pas de côté dans ce qu’il est donné à lire
en ce moment, dont on sort le regard, et donc l’esprit, réajusté – cela fait du
bien car les costumes que le contemporain nous oblige à porter sont bien loin
d’aller à nos rêveries et autres pensées vagabondes qu’ils ajustent toujours au
goût du jour. C’est surtout la phrase, cette teneur du langage et donc de la
vie, qui en revient toute rafraîchie.
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