Antoine Emaz, Sauf (avec des encres de Djamel Meskache), Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste, « Reprises », 2010, 340 pages, 13 €.
A. Emaz avec de jeunes élèves à Caen en 2010. Photographie de S. Martin.
Les éditions Tarabuste font bien de nous proposer ces textes d'Antoine Emaz dans la collection "Reprises" : enfin on pourra lire dans un très beau volume (les encres couleurs de Djamel Meskache accompagnent) tout ce qui complète l'anthologie Caisse claire établie par F.-M. Deyrolle au Seuil en 2007 dans une collection arrêtée depuis lors, et donc retrouver des livres qui étaient épuisés, les lire à la file, suivre un chantier d'écriture sur plusieurs années, une oeuvre se faisant. Il faudrait observer comment Emaz "relit" (et donc récrit) son écriture en nous proposant cet ensemble : sélection des textes avec l'introduction de textes inédits publiés en édition d'art, modifications mineures de certains, montage de l'ensemble. Je me contente de considérer le titre qui peut bien évidemment se lire d'abord avec la valeur privative de la préposition (sauf erreur de ma part, vous pouvez lire cet ensemble) qui indiquerait la qualité et le sérieux de l'écrivain, son travail de bon artisan (écolier?), y compris avec sa valeur littéraire - ce serait le moins - qui rappellerait l'éthique du poème pour Emaz (sauf votre respect, cher lecteur, lisez cet ensemble qui ne saurait vous blesser). Mais ce sont certainement bien plus les valeurs que portent l'adjectif "sauf" qui viennent orienter fortement cet ensemble. A la fois "entier, intact", ce livre témoigne certainement d'une "bonne santé" (passée?) quant à la vigueur poétique - Emaz signalerait qu'elle n'est plus, temporairement du moins ; mais je ne crois pas du tout à cette interprétation que l'auteur lui-même défend depuis quelque temps : le poème travaille tous ses écrits (notes et autres interventions) et travaille certainement à ce genre de reprise. Plus qu'à une quelconque téléologie religieuse qui viserait l'éternité, Sauf pointe une expérience qui a échappé à un grave péril mais qui, le livre en serait la preuve, y a échappé. Aussi ce livre vient-il une fois de plus magistralement confirmer qu'avec Antoine Emaz c'est "la rime et la vie" (je ne peux que reprendre le beau titre d'Henri Meschonnic) qui nous rendent tout entier, vraiment sujet, sujet non au sens d'un sauvetage du moi ou d'un "Autre" (identité et altérité se faisant face, lyrisme et épopée s'ignorant), mais bel et bien de l'inconnu d'une intégrité qui est peut-être l'humaine condition atteinte hors de tout savoir mais dans et par la force du poème, du plus petit poème comme du plus grand et ici la distinction n'est plus de mise - il faut lire l'ouverture "poèmes en miettes".
Je me contente d'un texte que je découvre dans ce livre, au titre décisif : "Un de ces jours" (p. 245-249), texte accompagné originellement par le travail de Scanreigh en 1999.
voir les choses comme
elles sont
autant que possible
ce soir non
ce soir pas
plus loin ce soir
on ne va pas
ce soir
tout de même
L'activité est première et elle est entièrement au régime d'un empirisme du vivant, du plus vivant, et donc exige autant de refus de tout ce que les réalismes logiques voudraient nous faire accroire : la voix travaille alors son "autant que possible" dans sa ponctuation (d'aller à la ligne, entre autres, mais il faudrait lire aussi toute la prosodie) où le rythme fait la pensée, la pensée bégayante c'est-à-dire forant au plus juste : si "on ne va pas", le poème lui va avec une voix qui va, nous emporte dans son "allure de tracteur" (clausule).
Quête d'air sans illusion sur un quelconque savoir au bout, mais avec la ténacité de qui sait : "on n'en finira pas".
Merci à Antoine Emaz : son poème cherche entre "tout à fait taire" et "remuer sous la nuit / jamais tout à fait tue / la meute". C'est dans cette tension que l'"allure de tracteur" nous fait signe de vie : "un de ces jours". Le dernier mot du livre : "vif" !
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