dimanche 28 septembre 2008

Une soirée "entre les murs"

Faut-il une palme d’or pour réactiver le débat sur l’école ? Oui ! à condition de rappeler que les réalités sont aussi multiples que les discours et que tous les regards doivent d’abord se faire entendre. Celui qu’offrent Cantet et Bégaudeau avec toute leur équipe incluant des non-professionnels (élèves et professeurs d’un collège de Paris) n’a d’intérêt que s’il vient aider ces regards dans leur multiplicité à se formuler si ce n’est d’abord à exister car le débat sur l’école est souvent pris dans des rhétoriques qui empêchent de voir et d’écouter. À cette occasion, l’enjeu est double : que l’école et donc ses acteurs s’entendent pour apprendre, faire apprendre et vivre ensemble avec une pensée de l’avenir qui fait souvent défaut – ce qui n’implique pas le consensus mais l’entente au sens de l’écoute ; de ce point de vue, le ministère et l’institution y sont souvent rétifs… ; que le cinéma jusque dans sa force documentaire qui ne peut se réduire à des effets de réel, mais également dans toutes ses autres dimensions, invente des modalités inédites de cette écoute en explorant autant l’infime que l’exploit, le non-dit que le trop vu – et on sait bien que les palmes, la starisation et autres médiatisations tirent trop souvent l’art vers le spectaculaire empêchant de voir la pluralité au travail dans l’art, dans le cinéma[1]. Cette palme d’or nous fait-elle voir un peu plus haut que les murs, nous aide-t-elle à voir les forces inédites à l’œuvre dans les réalités banales ? C’est la fonction prophétique de l’art, non au sens d’un pré-dire l’avenir mais bien d’un dire le présent au présent en sortant des cadres du passé, des habitudes, de l’inattention. Aussi, l’école comme le cinéma ne peuvent se contenter du spectaculaire et des palmarès quand il leur faudrait d’abord une inventivité à hauteur d’humanité, à hauteur de son invention quotidienne, dans toutes les salles de classe et de cinéma.

La soirée de projection suivie d’un débat qu’accueillait le café des images à Hérouville-Saint-Clair le 25 septembre, a permis d’une part d’ouvrir la saison culturelle de l’IUFM avec cet événement cinématographique et d’autre part d’engager la discussion entre le public nombreux (salle comble et température caniculaire) et trois formateurs de l’IUFM dont deux professeurs de collège, Martine Dewald et Nicole Cellier. Si les avis furent partagés, tout le monde a reconnu la qualité du regard porté par Cantet sur ses acteurs ; de ce point de vue, le livre de Bégaudeau (réédité en folio en mars 2007 après sa publication en 2006) laissait le lecteur sur sa faim puisque ses élèves restaient sur la touche alors qu’avec le film ils mènent presque la danse… Au risque de ne plus voir la classe que le film est censé suivre dans son fonctionnement mais c’est cette attention aux individus toujours en interaction que l’art cinématographique avec son cadrage-montage réalise ici ! C’est ainsi qu’il ne faut pas oublier que ce regard ne rend pas compte – mais est-ce possible ? – de la complexité du réel d’une classe tout au long d’une année en particulier dans le rapport au savoir des élèves et du professeur puisqu’il privilégie des moments fort théâtraux d’altercation verbale, de joutes où s’emmêlent les volubilités respectives au moins autant que les stratégies discursives – on aurait tort de réduire ces joutes à des places quand l’inter-subjectif y est plus un trans-subjectif qui fait le bonheur d’un vivre ensemble « entre les murs ». Ces scènes théâtrales, dans la grande tradition cinématographique de certaines comédies (on peut citer Rozier du côté comédie mais aussi Pialat…), mettent le doigt (l’objectif et donc la pensée non séparée des affects) sur une difficulté majeure de la didactique du français et plus généralement de l’enseignement aujourd’hui : comment lier la langue d’enseignement, le « français scolaire », à tous les discours qui mettent le français dans tous ses états, sans oublier ses rapports aux autres langues qu’elles soient à statut fort (anglais) ou incertain puisque propres aux espaces familiaux et autres (le quartier ou les regroupements générationnels) et donc souvent ignorés si ce n’est stigmatisés ? Quand l’enseignement visait une intégration parfois violente de tous les petits français sans exception, il faisait reposer cette incorporation (la connotation militaire est ici bienvenue) sur l’adhésion à la fiction d’un continuum monolithique qui a mis tout le XIXe siècle à se constituer : « nation-patrie-langue-grammaire-prononciation ». Une telle fiction politico-scolaire, pour de multiples raisons, ne fonctionne plus sans avoir pour autant été remplacée si ce n’est (re)pensée vraiment dans l’institution autrement que sous l’angle certainement insuffisant du socio-culturel (« milieux défavorisés » et « origines étrangères » qui répètent bêtement les conceptions identaristes construites également dès le XIXe siècle, le siècle des nationalités et nationalismes). Ce film qui ne présente certainement pas de solutions à toutes les difficultés soulevées par l’enjeu du vivre ensemble (ne serait-ce que les conflits culturels entre jeunes et adultes, entre discours de valeurs consensuelles déconnectées du présent et vécus multiples englués dans une société dominée par la consommation et la concurrence) et de son apprentissage « entre les murs », permet de sortir des clichés réducteurs habituels : adultes et jeunes y déploient une énergie remarquable tout en souffrant les uns et les autres du manque de perspectives politiques. La comédie devient effectivement tragique…

Peut-être que les perspectives politiques commencent par l’écoute et l’attention aux acteurs, comme on dit, sans que ces derniers se contentent de devenir des vedettes du spectacle… Le cinéma est mis devant ce défi qui, dans le rapport documentaire-fiction, rend à ses acteurs la modestie d’une expérience avec la force d’un regard. Mais l’école n’est-elle pas au même régime que le cinéma : sa mise au régime du spectacle est aussi son danger. Les œuvres d’art comme celles du quotidien demandent aussi le silence. Celui de François le professeur pendant le conseil de discipline ne montre pas seulement son impuissance tout comme celui d’Henriette (Kasaruhanda) qui, contrairement à ses excellents camarades de classe, se tait souvent ou retient pour elle tout ce qu’elle a à dire. L’un et l’autre montrent alors la force pensive de la retenue… jusque dans une salle de classe et dans un film.



[1] Il ne faudrait pas oublier par exemple, le film de Claire Simon, Récréations (1992) qui dit « débusquer de la fiction dans la banalité ». Deux coffrets DVD viennent de sortir : Mariana Otero, La Loi du collège (tourné en 1993, il raconte une année en collège avec en bonus un commentaire de deux « anciens » élèves) et Jean-Michel Carré, L’Education (sept films documentaires dont le fameux Alertez les bébés interdit de télé et Une question de classe qui suit des enfants pendant un an en CP). D’autres bien sûr…


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