Il y a un défi avec Bernard Noël depuis au moins 1958 – notez l’implication politique d’une telle date : Extraits du corps. Défi fait à tous les corps, individuels et/ou collectifs : être et ne pas se faire avoir, sujet ou objet. Mais un défi n’est pas un destin où l’inconnu se plie au connu : le défi est une aventure éperdue. Je n’arrive pas à suivre Bernard Noël, que d’égarés voire d’épigones passés à la détestation ! Mais le cherchant, je le trouve où il ne s’attendait pas, il n’attendait que ce que j’y trouve. On dit qu’il se perd : polygraphe du corps, expressionniste de notre matière, grand désirant du nu dans et par la relation. Il charrie tout ce que l’époque trouve dans les profondeurs volcaniques de la pensée dans et par l’écriture : Bataille, Blanchot... Mais ces alluvions comme des coulées de lave corporelle qui se roulent dans un poème critique sans cesse mis en branle, concassant toute l’époque jusqu’à l’os.
Le défi fait la vie, son journal, son regard qui est tout ce qui le fait relation, plus fait par l’entre que par l’essence, par le mouvement que par la stase, par la lumière que par l’image, par le branle que par l’organe. Le défi lance alors son coup de dé : lettre verticale. Ce corps-langage chaque fois remis debout contre sens et sensure élève tout le langage au défi de tenir en son cœur le poème de la vie à mort, de l’amour à mort, du « oui » au « non ».
Le défi est un élan des questions qui brise toutes les questions faites, pour ne pas fixer la pensée dans des catégories culturelles, disciplinaires, totalisantes. Le défi est infini jusque dans l’intime, l’infime. Le défi risque même la bienséance de l’œuvre, de la figure de l’écrivain, de l’homme puisqu’il est générosité jusque dans ses mauvais calculs : les reproches s’y engouffrent, les malhonnêtes jubilent quand l’œuvre, l’écrivain, l’homme jubile autrement, tout autre avec l’impersonnel d’un sujet qui passe de « je » en « je » dans un « tu » inassignable, incomparable. Les bouches se mangent la vue : le point de vue est un grand « je » qui met tout l’espace dans la relation : mouvement d’extraction et d’impulsion, ébranlement de l’air, rumeur des âges.
Le défi politique toujours dans ses risques s’arrime à l’implication éthique : ce que peut un corps dans et par le langage : un poème. Il faut le tenir comme chaque homme tient son animal : sauvage et coupable. Une force devenue rythme, une vie devenue œuvre, des rapports devenus relation. Le défi au défi même : « toute rencontre est l’énigme ».
C’est cette énigme que les amis ici rassemblés veulent tenir ensemble avec Bernard Noël. Chacun à sa manière a été saisi par le défi continu depuis 1958 : mis en demeure par ses « extraits du corps », chacun répond Bernard Noël. Les résonances multiplient la force de l’énigme pour que la stupeur fasse chuter dans chuter : renversement dans un soulèvement. Oui, le défi négatif de Bernard Noël est aussi l’affirmation d’un avenir au présent, le plus présent qui soit : la rencontre quand bien même tout l’interdit et qu’elle même la fait insaisissable c’est-à-dire utopie, travail de son infini. Le défi est infini. Par quoi Bernard Noël s’il est un contemporain singulier est avant tout un moderne qui n’en finit pas de répondre un infini au monde fini.
Le défi nous fait avec Bernard Noël dans l’énigme de toute rencontre :
tu dis
je me toi
Serge Martin
Ce papier a été repris par Ronald Klapka sur http://remue.net/spip.php?article1587
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