jeudi 18 septembre 2008

Postface pour un livre à venir

 

 

Je ne faisais que courir, ivre, à travers cette nuit, à la rencontre de la nuit profonde.

Ingeborg Bachman

 

 

 

Les mélanges sont à la mode si l’on en croit le succès du métissage, des croisements et autres signes d’une altérité toujours proclamée dans l’idéologie des convergences. Même la didactique promeut au premier rang de sa doxa l’interdisciplinarité. Le motif de la rencontre vient confirmer l’autruisme contemporain sous les auspices de penseurs incontournables, de Levinas à Ricœur, de Derrida à Bourdieu pour rester sur la scène intellectuelle française. Ce motif de la rencontre se décline dans les divers domaines de la pensée jusqu’à ce poncif qu’est la « poéthique » de « la Relation » que Édouard Glissant a plutôt esthétisé, au sens de Hegel, quand il promettait d’approcher autrement les œuvres littéraires de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le post-colonialisme, et que Michel Deguy a rhétorisé quand il disait qu’il voulait faire comparaître dans le poème le philosophème pour mieux (r)approcher des essences au lieu d’expériences, Poésie et Philosophie : ce vieux couple pour occuper la une de la pensée sans langage. Mais cette altérité est le cache-texte d’un pouvoir qui veut arraisonner l’inconnu du poème aux savoirs établis. Des mariages tuent l’amour.

Les mélanges ont coutume de célébrer en collectant des contributions révérencieuses qui viennent assurer le dédicataire des bons sentiments filiaux que des collègues plus jeunes tiennent à entretenir avec lui pour leur carrière, pour leur renommée intellectuelle future ou encore plus simplement pour le plaisir de figurer au milieu d’un aréopage qui déjà fait l’histoire littéraire ou des idées quand les historicités engagent comme autant de libertés contre les poses de l’histoire qui tuent les mouvements personnels. Des affiliations tuent l’amitié.

Les mélanges répondraient bien alors à l’éclectisme de la pensée contemporaine qui aurait abandonné, dit-on, l’ambition de rendre compte de la totalité du réel. Le structuralisme aurait constitué la dernière entreprise de ce genre au moment même où les grands régimes idéologiques s’effondraient, dit-on… pendant que les on dit font plus le dit que le dire. Depuis lors, même les cognitivistes n’aspirent pas à fonder l’unité des sciences de l’homme. Des soubresauts se font sentir régulièrement mais c’est l’éclectisme qui domine pour maintenir l’hétérogénéité discontinuiste de la rationalité des Lumières et donc faire bon ménage avec tous les pouvoirs, les conservatismes et les habitudes. Il peut même s’assurer de variantes multiples au gré des modes et des rapports de force. Tout en maintenant la fiction d’une rationalité dont l’ambition serait de tenir le réel dans sa nomenclature : prenez ce dernier terme aussi bien dans le sens d’une somme d’unités dénombrables et définissables parce que dénommés par le scientisme d’époque que dans le sens d’une élite régie par l’étiquette d’une langue de bois reposant sur le précédent scientisme. L’éclectisme scientiste de l’époque tue le savoir dans son rapport nécessaire avec le vital. Des aveuglements tuent la connaissance.

Si les mélanges font la mode, celle-ci ne fait pas le mode des mélanges puisqu’en aucun cas la mode n’opère avec l’inconnu que font les mélanges dans et par le langage. Mélanges qui ne peuvent résulter du connu, d’une mesure de la distance ou d’un dosage de savoirs antérieurs, mais mélanges qui adviennent dans et par la relation comme aventure éthique d’un dire. Ce sont ces mélanges qu’on aimerait écouter comme poème inventant la liberté d’une relation où le tu appelle le je au cœur du défi nocturne, trouvant alors sa petite lumière renversante. Oui ! des mélanges pour des soulèvements nocturnes pleins de petites lumières. Des mélanges pour des constellations. Un mode de dire qui fait un mode d’être dans le vivre de tous les jours qui sont comme des nuits, des nuits qui sont comme des pleins jours. La mode des mélanges renversée par le mode des mélanges sur la scène du théâtre du poème où les voix voient la nuit, notre nuit, comme bon jour. Un dire bonjour qui fait la vie à hauteur d’une anthropologie relationnelle dans et par le langage de tous les jours. Une politique des mélanges contre les politiques qui tuent avec la mode des mélanges. Une politique sans autre programme qu’un poème-relation à hauteur de chaque homme dans sa nuit. Un appel à vivre parce que tu est ma nuit claire.

 

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