samedi 29 juillet 2017

"S'en sortir sans sortir" (G. Luca) avec Benoît Conort

Benoît Conort, Sortir, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017.


Plus de dix ans après Ecrire dans le noir… Est-ce la fin de la chanson célèbre de Leonard Cohen, dance me to the end of love, qui a tiré le poète dehors quand presque tout ce livre, Sortir, s’écrit dedans puis esquisse une sortie dans les parages (pas trop loin ?) avec jardins (« d’hiver » puis « d’hier » mais pas d’aujourd’hui ! et encore moins de demain !) ? A moins que deux vers, l’un de Baudelaire et l’autre d’Apollinaire serrés dans une même page, n’aient entraîné quelques oiseaux (de malheur ?) pour qu’« ils tendent / des phrases dans le ciel des bouts ». Mais c’est le peu qui l’emporte (oui ! des bouts !), du moins une énergie pascalienne règle le dire d’une sortie, non pas prudente mais sans illusion, parce qu’« il fait dehors comme / dedans » ; et tout le livre conduit à ce dépit celanien : « tant de voix dehors / quoique si peu de musique ». La petite musique du livre : il y a « l’ombre et sa nuit » comme une reprise de la condition humaine où consonnent « larmes », « elles s’arment » et « alarmes ». De grands pans du livre pris (englués ?) dans cette prosodie (« la proie d’ombre / elle qui proie / dans l’ombre ploie ») à la Ghérasim Luca. S’agit-il donc de « s’en sortir sans sortir » ?  Mais le livre qui, dans sa première partie, associe nuit et ombre, massacre et disparition d’une « absente »,  s’achève sur « où aller ? ». D’autant que ses « jardins » se seraient contentés de la « nuit animale » ou « du temps » qui « respire dans les herbes » où « le corps parfois pose son poids » – un consonantisme qui pèse tout le « p » muet du corps… Alors, l’étude légèrement modifiée des pieds d’un apôtre d’Albrecht Dürer, datée de 1508, en couverture, ne serait-elle pas l’envoi d’un dire, « ce vers quoi l’on penche » : « celui-ci n’a / de nom pas ». Un livre (de l’évidence) de l'évidement, tout contre la vie, la poésie. 

1 commentaire:

GG a dit…

J'ai lu récemment Sortir et je suis bien d'accord avec vous : ce titre peut se lire comme un projet de sortie, davantage qu'une évasion effective. Rimbaud disait déjà : "On ne part pas". Mais il y a malgré tout quelques pages plus lyriques, en particulier sur la mer, qui me font croire qu'il y a bien, malgré tout, une sortie, une issue, voire une forme d'apaisement.
Vous trouverez ici mon propre compte-rendu de cet ouvrage : Benoît Conort : Sortir.
Merci beaucoup pour cet article.
Gabriel Grossi, Littérature Portes Ouvertes