dimanche 5 février 2012

Creuser les voix pour murmurer nos voix


Cet ensemble réunissant six écrivains des deux côtés du Jura non seulement témoigne de la pluralité - six voix - de l'écriture se faisant mais surtout engage chacune dans la résonance des autres et donc invente une communauté du poème voire du vivant dans un monde qui défait toute communauté, toute parole échangée dans l'écoute, préférant amplifier les discours d'imposition, de dérision, de cynisme et de mépris (y compris jusque dans ce qu'on appelle "la poésie" car les poètes ne sont pas naturellement maîtres de quelque écoute et exempts de quelque manipulation, propagande, mépris et autre discours de destruction de paroles). Ce que font les revues quand elles travaillent vraiment leur sommaire, ce petit livre qui tient dans la main le fait en serrant ces six voix dans leurs échos, leurs creusements. Pas seulement parce que lisant l'une on a la souvenance de l'autre - il ne s'agirait alors que de juxtaposition, au mieux de combinaison - mais aussi parce que chacune fait explicitement ou pas relation avec, dans et par, les autres.
Cela commence par "je passe du côté de ceux / qui n'ont rien à déclarer" (Philippe Païni) : oui, toute écoute commence dans et par une diction et non une déclaration. Et alors "nous avançons"et "il n'y a pas de place pour nos têtes" (Sereine Berlottier) parce que comme dans les oeuvres de Louis Soutter, le poème est solidaire dans le "profondément" jusqu'à "pétrir les pains de l'aube" (Sylvain Thévoz), jusqu'à risquer d'écrire avec toute la profondeur immonde de l'histoire, "et enfourner les pains".  Parce que le poème est toujours une multiplicité de "trajectoires" (Silvia Härri) qu'un "faune aphone" (Cesare Mongodi) tente de dire le plus silencieusement possible apprenant lentement le continu du chien au loup, de la mort à la vie. Comme conclut ce livre Cécile Guivarch: "quand on y pense // tout reprend sa place // sans mourir / complètement". Oui, le poème c'est alors ce "quand on y pense" où le poème fait plus fort, plus libre que toute la philosophie, toutes les idées, les messages, les programmes, les intentions et même la poésie...
Ces creusements de voix nous emportent très fort dans les murmures de ce qui ne s'entend pas assez fort aujourd'hui : quoi? Ce qui passe de voix en voix quand les voix s'écoutent dans tous les sens du terme et sans jamais réduire l'écoute à quelque dialogue trop bien programmable par les maîtres de langue, les institutions de discours, les pouvoirs de la communication. Le poème fragile creuse et alors les voix s'augmentent : d'aucuns (maîtres, institutions et pouvoirs) peuvent croire que rien ne vient mais la résonance grandit.
Merci aux six écrivains réunis les 8-9-10 juin à Romainmôtier de nous confier leur rencontre, c'est-à-dire leurs résonances.
éditions Samizdat François Lehmann 8 - 1218 Grand Saconnex
http://www.editionsamizdat.ch/cms/

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