vendredi 29 mai 2009

Gestes sur la grève (4)


(Les monologues inséparables)

La plage est l'unique moment de leurs rêves diurnes. Ils s'y croisent sans se toucher pendant que les rêves s'y percutent. Les rêves sont des récitatifs qui se reprennent en sautant des mots et se perdent dans le fil du ressouvenir.  Jusqu'à ce qu'un silence passe.

 

Je sens dans ma main ton sexe il se détache et ne me reste que lui Tu cries au loin ce n'est pas grave et je suis bien Je ne vois plus la balle elle est sortie de ton sexe je l’ai enfouie dans le mien tout au fond Tu me dis je la tiens dans tes lèvres je fais comme si c'était ton sein Je te répète je ne peux pas la rattraper avec ton sexe il est difficile à tenir Je ne voudrais pas le perdre je ne sens déjà plus ce qui le tient il risque de m'échapper Oui je t'entends crier au loin comme si je t'avais envoyé balader Avec la force qu'il m'a fallu pour te prendre le sexe Mais je suis en toi et je te prends réponds-tu dans un jet de petites balles toutes blanches Elles s'abîment dans le sable elles forment des concrétions alvéolaires murmures-tu en me mordant les lobes Enfin tu apparais au milieu de cette cathédrale minuscule Je me penche et j'ai presque le nez dans ton sable spermatique tout en tenant ton sexe loin du sable Tu me fais signe entre deux alvéoles comme derrière un vitrail de la Sagrada Familia J'essaie de te dire je vais te rendre ton sexe Pas de chance la marée haute vient de réduire l'édifice en un tas bientôt mis à bas Tu laisses échapper quelques bulles Je vois que ton sexe est couvert d'une algue verte Je te dis je vais prendre une douche À cette heure je m'étonne intérieurement je me dis tu m’as toute mouillée

Allons au bord du continent tu me dis souvent Je te réponds il n'y a plus de paysage là-bas Invariablement je réponds c'est justement cette disparition que je cherche pour ne plus avoir que toi  Je ne comprends pas ce désir de possession Je prétexte cette exclusion du contexte en soi il ne peut remplacer quiconque Je crois que tu veux prendre ma place même si je le sais bien nous ne sommes pas grand chose dans l'univers Tu dis nous sommes quand même ce qui le contitue c'est connu depuis longtemps dans toutes les disputes philosophiques Je ne peux te pénétrer sans rouler dans l'herbe le sable les grains les draps les nuages les jours les souffles du vent J’oublie les caresses des arbres et les bruits des voitures au loin sur l'autoroute Si tu m'entendais tu dirais l'autoroute je ne comprends pas Voilà je suis perdu dans mes raisons sans parler des tiennes Tu dis je confonds la jouissance et le rêve Je dis c’est entre le rêve et ces picotements ils sont impossibles à supporter Comme si des grains de sable ne cessaient de gêner la salivation tu susurres Et tes paroles viennent au milieu des miennes dans cette boue imprononçable Tu cries au milieu de la nuit elle grandit dans mon corps La marée monte jusqu’à nous Nous sommes trempés de bonne humeur

Je viens au monde Il répète toujours cela entre mes cuisses Et c'est du sable qui suinte de mon sablier Je viens au monde dans cette granulation cette chute des poids et des temps Et c'est du sable qui glisse de mon tablier intérieur Je viens au monde fuyant cette poche percée et rejoignant les eaux salées Et c'est toujours du sable qui ne rompt pas le cordon ombilical Rien ne vient agréger ses composants rien ne vient faire le lien rien ne vient tisser le texte de la généalogie rien ne vient filer la métaphore Je viens au monde je renverse au bon moment pour ne pas cesser de commencer ton sablier ton vase au col resserré ton vagin qui ne crisse pas qui ne crains pas le grain à moudre Et c'est toujours du sable qui me broie les os qui me livre corps et âme en mille morceaux Je viens au monde et tu t'épanches en larmes de sable comme une piéta confondante Et c'est toujours du sable qui m'enfonce dans la naissance toutes les naissances Tes naissances me noient dans tes eaux

C'est moi la balle et tu me frappes Tu pousses des cris comme un percussionniste Je te siffle dans les oreilles Alors tu me lobes Tu dis jouis jusque dans tes oreilles Je te siffle plus fort pour que ton geste percutant me renverse et me tourne et me transporte jusqu'au plus loin de ton geste J'hurle dans le mouvement de ton bras J'entraîne tout ton corps Tu redoubles d'effort pour tenir contre l'attraction Tu dis en te pinçant les lèvres je te gobe tu viendras au fond Je te frapperai pour un envoi au ciel Peut-être dis-tu cela plus grossièrement ça dépend des soirs Surtout ça dépend de la durée de la partie Je n'entends pas parce que je suis déjà loin ou peut­-être au fond de ton geste Ton cri part et se perd dans les airs ils ne cessent de s'élargir autour de nous Tu t'épuises à vouloir dire viens que je te renvoie encore plus loin Je te dis je suis dans ton geste ton bras ton sexe tendus tous les trois dans la même direction sans but que de revenir tout retendre Je tends vers toi tu me dis Je te dis je tends vers toi C'est épuisant cette tension Tu n'en peux plus et justement tu perds la balle Je gis abîmée défaite ma balle est crevée Est-ce toi qui répètes cela ou le ciel qui se dégonfle Il pleut beaucoup depuis hier soir je pense tout au long de ton écoulement Je t’écoute tais-toi

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