mercredi 21 janvier 2009

"L'Apprenti" de Samuel Collardey: un cinéma-relation


Filmer la relation c'est penser la relation et donc se situer, devenir avec ce qui vient dans et par la relation mais cela demande de changer les habitudes, de laisser l'intempestivité de la relation inventer ses formes de vie et de langage, son cinéma. C'est ce que fait Samuel Collardey avec ce film. Rien à voir avec Cantet et Bégaudeau (voir http://martinritman.blogspot.com/2008/09/une-soire-entre-les-murs.html).
Un seul exemple pour montrer l'enjeu : la "leçon" d'anglais à deux où le comique ne passe jamais par la moquerie ou la condescendance avec ceux qui ne "savent" pas l'anglais... C'est tout au contraire une leçon de langage avec le rire de la relation dans les mots qu'on se fait ensemble. Il faudrait mentionner l'écoute au plus juste que fait un tel cinéma : ni documentaire ethnologique comme on en connaît trop qui font de "l'autre" (avec beaucoup de majuscules pour ajouter à l'autruisme) en veux-tu en voilà, ni fiction au plus près du "Réel" comme on en voit qui s'y croient avec une vérité du monde au bout de leur caméra soumise aux philosophes ou aux idées qu'ils ont avant de voir ! Non ! Collardey  cherche une temporalité, une gestualité de l'attention dans sa prise de vue, dans son montage, dans tous ses moyens cinématographiques, au plus près des histoires d'écoute : celles que l'apprentissage oblige à construire, celles que l'adolescence défriche dans la douleur et l'allégresse, celles que les malheurs de la vie obligent à construire sous peine de perdre la vie, celles que la condition de ceux qui "cultivent" et non "exploitent" leur pays fait aux hommes qui peinent, à ceux qu'un ethnologue appelait "les gens de peu" et que le cinéma met vite dans le "popu" ou dans le "sauvage primitif" quand ici on touche au trésor de l'humanité vive dans son infinie pluralité et l'universalité d'une "condition humaine". Bref, celles que le cinéma sait inventer quand il oublie son savoir bien faire, ses intentions et ses maîtrises. Collardey a fait, avec L'apprenti, un poème de Matthieu Bulle et de Paul Barbier, les deux acteurs non-professionnels qui font le couple apprenti-maître de stage, avec leurs proches - je pense d'abord à la mère de Mathieu, leurs pays(ages) et leurs conditions, leurs histoires. Un poème parce qu'il nous change la relation chaque jour, chaque regard, chaque parole :
- cet accent du Jura c'est d'abord la volubilité d'être, la jouissance partagée d'un plaisir de vivre langage et non la note régionaliste d'un qui passe et n'y remettra plus les pieds: sortant de ce film, nous écoutons chacun chacune mon ton accent...
- cette voix de Mathieu qui ne se fixe pas puisqu'elle mue et surtout qu'elle est une aventure de chaque instant. 
Et je n'oublie pas que ce film est un film à voir pour changer la didactique avec la poétique puisque nous sommes tous des "apprentis" de la vie...

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